Pandémie : naître sous le signe du stress
Les experts se doutaient bien que la pandémie de COVID-19 avait bouleversé la vie des familles qui attendaient un enfant. Des données publiées récemment par l’Institut de la statistique du Québec le confirment.
L’automne dernier, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a rendu publiques les premières données de l’étude Grandir au Québec. Cette enquête porte sur des enfants nés entre le 1er octobre 2020 et le 30 septembre 2021, c’est-à-dire pendant les premières vagues de la pandémie. Ces résultats nous informent donc sur les conséquences de la pandémie de COVID-19 sur la grossesse et l’accouchement.
Roxanne Lemieux est psychologue et professeure au département des sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Avec le chercheur Nicolas Berthelot, elle a mis sur pied l’étude « Attendre un enfant dans le contexte de la pandémie de COVID-19 », dont les résultats viennent compléter les données de l’ISQ. Dans le cadre de cette étude, les futurs parents en attente d’un enfant sont invités à répondre à un questionnaire anonyme en ligne qui portait sur différents éléments de leur vécu en lien avec la grossesse et la pandémie de la COVID‑19.
Suivis de grossesse et accouchements perturbés
Selon les données de l’ISQ, les mères d’environ 15 % des bébés ont raconté que certains de leurs rendez-vous ont été annulés ou reportés pendant la grossesse. De plus, certains rendez-vous se sont déroulés au téléphone ou en ligne plutôt qu’en personne, ont mentionné les mères de 42 % des bébés.
Selon Roxanne Lemieux, les mères qui ont participé à son étude étaient effectivement préoccupées par tout ce qui entourait le suivi de grossesse et le type de services qu’elles allaient recevoir à l’accouchement. « C’était une source d’inquiétude majeure », remarque-t-elle.
Il faut dire que même en absence de pandémie, la grossesse suscite beaucoup de préoccupations. Le suivi de grossesse est alors une occasion d’être rassurée par les professionnels de la santé. Cependant, les bouleversements causés par la COVID ont pu nuire au bon déroulement de ces rencontres.
Les mères pouvaient avoir l’impression de perdre un peu accès à cette source de soutien, confirme la chercheuse, surtout que les médecins ne savaient pas toujours quoi dire pour répondre à leurs inquiétudes concernant le virus.
Les pères n’ont pas été épargnés par ces bouleversements. Selon les données de l’ISQ, les pères de 53 % des bébés n’ont pas pu accompagner la mère lors des rendez-vous de suivi de grossesse. De plus, les pères de 41 % des bébés n’ont pas été autorisés à assister à l’échographie.
Une des choses que les pères nous ont dit, c’est qu’ils avaient l’impression que la pandémie leur avait enlevé la possibilité de jouer leur rôle de soutien auprès de leur conjointe, remarque Mme Lemieux.
Les tentacules multiples du stress
« Même si le suivi de grossesse et l’accouchement étaient une source majeure de préoccupation, c’était une inquiétude parmi d’autres », remarque toutefois Mme Lemieux. Ces préoccupations étaient en effet accompagnées d’un éventail d’autres sources de stress comme les répercussions de l’infection sur la grossesse ou l’aspect des finances et de l’emploi.
Les données de l’ISQ révèlent d’ailleurs que les mères de 31 % des bébés ont vu leur revenu familial diminuer et que les mères de 6 % des bébés ont perdu leur emploi. Cette proportion était de 7 % pour les pères.
Il y avait aussi des enjeux de pénurie [de certains biens et denrées], rappelle la chercheuse. Cela générait une inquiétude chez les familles qui se demandaient si elles auraient accès aux biens nécessaires pour préparer l’arrivée de l’enfant.
De plus, les mères de 29 % des bébés disent avoir souffert assez ou beaucoup d’isolement et de solitude durant la grossesse en raison de la pandémie. Par exemple, plus de 70 % des bébés n’ont pas pu recevoir la visite de leurs proches à l’hôpital lors de leur naissance. Pour les mères de 22 % des bébés, le sentiment de solitude et d’isolement s’est poursuivi après l’accouchement.
Sans surprise, les mères de 62 % des bébés et les pères de 48 % des bébés ont rapporté que leur stress a augmenté en raison de la pandémie, révèle l’ISQ. « Le contexte était favorable à l’éclosion du stress, en raison du manque de contrôle, de l’incertitude et de la nouveauté », explique Mme Lemieux.
Dans notre étude, nous avons aussi évalué la santé mentale des femmes enceintes, souligne la chercheuse. Nous avons mesuré des niveaux de symptômes dépressifs et anxieux plus élevés chez les femmes enceintes durant le début de la pandémie que chez les femmes enceintes hors pandémie.
Le soutien social peut changer la donne
Plusieurs études ont montré que la détresse et le stress maternel pendant la grossesse sont associés à des problèmes obstétricaux comme la prématurité et le petit poids à la naissance, mais aussi à des effets sur le développement socioaffectif et cognitif de l’enfant, explique Mme Lemieux.
Cependant, dans notre étude, ce sont chez les mères en détresse durant la grossesse qui ont continué à l’être après la naissance où il y a eu un impact sur le développement de l’enfant, souligne la chercheuse.
Les résultats obtenus par Roxanne Lemieux démontrent donc que l’effet du stress maternel sur le développement de l’enfant n’est pas une fatalité, même en période de pandémie. « Plusieurs autres facteurs doivent être pris en compte pour déterminer les conséquences sur le développement de l’enfant », ajoute-t-elle.
Par exemple, le soutien social peut avoir un effet positif pour diminuer les impacts du stress. Cela peut en effet aider les mères à bien répondre aux besoins de leur enfant malgré la détresse qu’elles ressentent. « Les mères nous ont parlé entre autres des professionnels qui s’efforçaient de garder le contact avec elles et de leur donner accès à de l’information, malgré la pandémie », souligne Roxanne Lemieux.
Les mères aimaient également lorsque les professionnels leur offraient un espace pour discuter de ce qu’elles vivaient sur le plan psychologique. « Que ce soit durant la pandémie ou non, une des choses que les mères déplorent, c’est que les professionnels s’intéressent beaucoup à l’expérience physique de la grossesse, mais très peu à l’angle psychologique », remarque la chercheuse.
En effet, ce ne sont pas tous les professionnels de la santé qui sont formés pour accompagner les mères qui vivent des difficultés psychologiques. « Si un professionnel ne se sent pas à l'aise, il peut tout simplement référer la mère vers des intervenants en santé mentale, observe Mme Lemieux. On s’assure ainsi de détecter les femmes qui sont en détresse durant le suivi de grossesse et aussi après la naissance de l’enfant. »
Par Kathleen Couillard
Titulaire d’une maîtrise en microbiologie, Kathleen Couillard œuvre comme journaliste scientifique depuis plus de 10 ans. Elle a également occupé le poste de conseillère au transfert des connaissances à l’Observatoire des tout-petits pendant deux ans et demi. Elle collabore maintenant avec différents médias dont l’Agence Science-Presse, Naître et grandir, L’Actualité et Protégez-Vous. Elle s’intéresse plus particulièrement à tout ce qui touche la santé, la famille et le développement des enfants.
Pour aller plus loin
Parcourir notre dossier Web sur la pandémie et les tout-petits
Lire l’article paru dans The Canadian Journal of Psychiatry pour en apprendre plus sur l’association entre la fréquence de consultation des médias d’information et la détresse psychologique chez les femmes enceintes durant la pandémie de COVID-19
Consulter la section de notre Portrait 2021 des tout-petits consacrée à la Grossesse, la naissance et l’allaitement