Pandémie et développement : quels effets sur les tout-petits?
Trois ans après le début de la pandémie, comment se portent les tout-petits québécois? La chercheuse Sylvana Côté de l’Observatoire pour l’éducation et la santé des enfants nous partage ses observations et ses préoccupations.
Le stress vécu par les familles pendant la pandémie a été très variable. Par exemple, celles qui n’ont pas connu de problèmes financiers ou qui n’étaient pas trop susceptibles de contracter la maladie s’en sont plutôt bien tirés. « L’une de nos études a même montré qu’il y avait eu des impacts positifs, par exemple sur les relations parents-enfants ou sur les relations entre frères et sœurs », souligne Sylvana Côté.
Par contre, le stress était important dans les familles qui ont vécu des difficultés socio-économiques comme une perte d’emploi ou des conditions de travail risquées. Selon la chercheuse, c’était particulièrement le cas des familles issues de milieux défavorisés.
Saines habitudes de vie et apprentissage
Sylvana Côté et ses collègues ont mené des études pour comprendre comment la pandémie avait affecté les différentes sphères du développement des tout-petits.
Elle a ainsi constaté que les enfants de moins de 5 ans ont été peu touchés en ce qui concerne leur santé physique et mentale. « Ils étaient très peu malades et il n’y a pas eu d’augmentation significative des problèmes de santé mentale sérieux comme les troubles anxieux ou dépressifs », remarque-t-elle.
Des effets ont plutôt été détectés au niveau des saines habitudes de vie, mais ces changements semblent avoir été temporaires. « Pendant les confinements, les parents devaient faire bouger leurs enfants puisque les services d’éducation préscolaire étaient fermés, explique la chercheuse. Nous avons alors noté une baisse de l’activité physique. » Pour les parents en télétravail, il était en effet plus difficile de prendre soin de leur enfant tout en travaillant. « Les enfants ont été davantage laissés à eux-mêmes, mentionne-t-elle. Il y a eu une petite augmentation du temps d’écran. »
Des conséquences négatives ont également été observées au niveau des apprentissages. Une étude réalisée aux États-Unis a d’ailleurs montré que les enfants qui ont passé plus de temps à la maison ont eu de plus grandes pertes d’apprentissage.
Avec la fermeture des services d’éducation préscolaire, les enfants demeuraient à la maison et étaient privés d’expériences d’apprentissage et de stimulations sociales. Sylvana Côté
Une augmentation des inégalités
Pourtant, certaines analyses qui ont compilé les résultats de plusieurs études ont montré que les effets de la pandémie chez les enfants étaient faibles. Selon Sylvana Côté, plusieurs raisons peuvent expliquer ces résultats surprenants. D’abord, même si les confinements ont été particulièrement difficiles, les choses revenaient à peu près à la normale entre ces périodes. « Certains effets étaient donc possiblement temporaires, » propose-t-elle.
Ensuite, les effets n’ont pas été les mêmes pour toutes les familles.
Il est important de regarder aussi les effets en fonction du statut économique des familles et de leur utilisation des services d’éducation préscolaire. Sylvana Côté
La chercheuse s’attend d’ailleurs à ce que les prochaines études à paraître mettent en lumière une augmentation des inégalités sociales.
Alors que tout était annulé, nous avons fait passer une épreuve ministérielle à des élèves de quatrième année. Nous avons montré que les enfants dans le haut de la distribution n’avaient aucun retard en lecture et que ceux qui avaient déjà des difficultés avaient beaucoup plus de retards. Sylvana Côté
La pandémie pourrait donc avoir accentué des difficultés présentes bien avant l’arrivée du virus dans nos vies.
D’autres études nécessaires
Il faut toutefois dire que les informations dont nous disposons sur l’état des tout-petits depuis la pandémie demeurent fragmentaires. « Pendant les confinements, nous ne pouvions pas évaluer les enfants avec des tests objectifs », déplore Sylvana Côté.
De plus, la chercheuse se méfie des études basées uniquement sur les perceptions des parents.
Si vous êtes en télétravail et qu’on vous demande si votre enfant est hyperactif, qu’allez-vous répondre? remarque-t-elle. Vous aurez probablement l’impression que votre tout-petit est effectivement hyperactif. Sylvana Côté
L’édition 2022 de l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle (EQDEM) devrait apporter plus d’informations sur les conséquences de la pandémie sur les tout-petits. Ces données sont en effet basées sur l’évaluation des enseignants et ceux-ci ont la formation et l’expérience nécessaire pour déterminer si le développement d’un enfant suit bien la direction attendue.
Solidifier le réseau d’éducation préscolaire
La pandémie, c’est comme l’histoire des trois petits cochons, illustre Sylvana Côté. Les endroits avec des réseaux solides, comme les pays scandinaves, avaient une maison de briques. Quand le vent de la pandémie a soufflé, rien n’a été démoli et ils ont continué à progresser. Pour ceux qui avaient un réseau moins robuste, comme c’est le cas ici, le vent a brassé un peu. Sylvana Côté
Pour aider les tout-petits en période post-pandémie, la chercheuse croit donc qu’il faut commencer par redresser le service d’éducation préscolaire. « C’est là que se font les apprentissages et la socialisation, remarque-t-elle. Les enfants y reçoivent une stimulation de meilleure qualité. »
Elle suggère ainsi de développer davantage de centres d’éducation préscolaire à but non lucratif avec du personnel formé. Ces établissements doivent aussi être accessibles pour une plus grande diversité de familles, en particulier celles issues de milieux défavorisés, souligne-t-elle.
Par Kathleen Couillard
Titulaire d’une maîtrise en microbiologie, Kathleen Couillard œuvre comme journaliste scientifique depuis plus de 10 ans. Elle a également occupé le poste de conseillère au transfert des connaissances à l’Observatoire des tout-petits pendant deux ans et demi. Elle collabore maintenant avec différents médias dont l’Agence Science-Presse, Naître et grandir, L’Actualité et Protégez-Vous. Elle s’intéresse plus particulièrement à tout ce qui touche la santé, la famille et le développement des enfants.
Pour aller plus loin
Consulter notre Portrait 2021 sur la santé et le bien-être des tout-petits au Québec