Pandémie : comment le virus a-t-il augmenté les inégalités?
La pandémie de COVID-19 a constitué un stress supplémentaire pour les familles vivant déjà dans un contexte difficile. Une situation qui a des conséquences pour les tout-petits, à la lumière de récents résultats d’enquête et de recherche.
La transmission du virus de la COVID-19 a été concentrée dans les régions les plus désavantagées économiquement, conclut une étude publiée en juin 2023. Les familles défavorisées auraient donc été touchées de façon disproportionnée pendant la pandémie.
Même si les enfants étaient en général peu malades, cette situation a pu les affecter dans leur quotidien. « Dans le cadre de la cohorte MAVIPAN [Ma vie et la pandémie] sous la direction d’Annie Leblanc de l’Université Laval, nous suivons environ 3 500 individus depuis mai 2020 et nous voyons que l’exposition au virus lui-même crée des besoins importants », explique George Tarabulsy, directeur scientifique du Centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles et professeur titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval. En effet, lorsque le virus entre dans une famille, cela peut créer une pression supplémentaire pour les parents, comme une perte de revenu ou du stress par exemple, augmentant ainsi les besoins de soutien, que ce soit au niveau économique ou social.
Cette augmentation des besoins est particulièrement difficile pour une famille en milieu défavorisé qui a déjà peu de moyens, économiques ou sociaux, à sa disposition.
Lorsqu’un évènement imprévu comme l’infection par le virus survient, les ressources sont dépensées rapidement et cela devient un problème, confirme George Tarabulsy.
Le stress qui en découle peut amplifier la détresse des parents et diminuer leur disponibilité pour leurs enfants.
Par ailleurs, pendant certaines périodes de la pandémie, une personne infectée dans la famille signifiait le confinement obligatoire pour tous ses membres. « Imaginez être confiné dans un quatre et demi avec trois enfants, souligne George Tarabulsy. Il peut être difficile de s’adapter l’un à l’autre dans un espace aussi restreint. » Dans une étude publiée en 2021 à partir de la cohorte MAVIPAN, la chercheuse Annie Bérubé et son équipe de l’Université du Québec en Outaouais ont d’ailleurs observé qu’il était plus ardu pour les parents de répondre aux besoins cognitifs et affectifs de leurs enfants lorsque le niveau de stress des parents était élevé.
Le confinement a également eu des effets sur la fréquentation de l’école ou du service de garde. Plus des trois quarts des enfants de maternelle 5 ans ont connu au moins une quarantaine à la maison, selon les données de l'Enquête québécoise sur le parcours préscolaire des enfants de maternelle (EQPPEM 2022). George Tarabulsy donne l’exemple des Pays-Bas qui ont vécu une situation de confinement similaire à la nôtre. « En incluant les cours à distance, on a noté là-bas environ 25 % de moins de scolarisation chez les enfants du primaire en général, rapporte-t-il. Mais, dans les quartiers défavorisés, c’est 36 à 38 % de moins. » Malheureusement, quand la scolarisation est interrompue, des effets sur le développement surviennent.
Des impacts à long terme
Nous n’avons pas fini de sentir les effets de la pandémie sur le plan du développement, avertit d’ailleurs M. Tarabulsy.
La communauté scientifique comprend en effet de mieux en mieux l’impact de ces événements générationnels sur les enfants. Le chercheur donne l’exemple de la récession de 2008-2009 aux États-Unis. « On a documenté l’impact de cette crise dans des régions où elle a été vécue très difficilement et on a constaté des impacts au niveau scolaire et développemental », raconte-t-il.
Pour bien mesurer les conséquences de la pandémie, il est toutefois important d’inclure des enfants provenant de milieux défavorisés dans les études. « Le problème, c’est que la plupart des études n’incluent pas de segments de la population à risque sur le plan social, explique M. Tarabulsy. Les effets qu’on observe sont alors moindres. »
Au Québec, les résultats de l’Enquête sur le développement des enfants à la maternelle (EQDEM 2022) nous permettent d’avoir une idée des conséquences de la pandémie. « Dans cette édition de l’enquête, ce sont les enfants de la COVID qu’on a évalués à 5 ans », confirme George Tarabulsy.
Si on compare les enfants habitant dans un milieu très défavorisé sur le plan matériel à ceux vivant en milieu très favorisé, on constate que l’écart s’est creusé entre les deux groupes. En effet, la proportion d’enfants vulnérables dans au moins un domaine de développement est passée de 33,7 % en 2017 à 34,7 % en 2022 dans le premier groupe alors que cette proportion est demeurée stable dans le deuxième (23,2 % en 2017 et 23,1 % en 2022).
Des outils à utiliser
Il est quand même surprenant de voir que la proportion d’enfants vulnérables dans les milieux défavorisés a augmenté de seulement 1 % entre 2017 et 2022. « Est-ce possible que nos services aient réussi à rejoindre ces familles, même dans ce contexte difficile? » se demande M. Tarabulsy.
Le chercheur a été témoin de toute l’imagination et les efforts qui ont été mis de l’avant par les intervenants du réseau pour rester en contact avec les familles durant cette pandémie, de même que des efforts mis en place par les enseignants et éducateurs pour leur permettre de poursuivre leur enseignement. Est-il possible que ces efforts aient diminué les impacts à court terme de la pandémie sur nos jeunes?
Le Québec dispose d’ailleurs d’outils pour soutenir les familles démunies. « Par exemple, le programme québécois de Soutien à la périnatalité et à la petite enfance (SIPPE) rejoint des familles extrêmement démunies, note M. Tarabulsy. Nous avons aussi le Programme d’intervention en négligence qui a pour but de soutenir les familles à risque. »
La pandémie nous aura ainsi appris que ces programmes peuvent servir à rejoindre les familles et à les soutenir lorsqu’une crise survient. « Il faut toutefois être plus intentionnels dans notre soutien des familles », remarque M. Tarabulsy. Autrement dit, les intervenants doivent recevoir la formation nécessaire et le soutien à leur pratique pour poser les bons gestes.
Selon le chercheur, la formation des professionnels en relation d’aide demeure encore trop générale et n’offre pas d’expérience spécifique pour répondre aux besoins des familles vulnérables. « Il est difficile d’imaginer les besoins de ces familles », souligne-t-il.
Et sans formation, cela prend du temps avant que les bons réflexes ne s’installent. Présentement, les intervenants doivent donc être formés sur le terrain et cela limite l’efficacité de leurs interventions auprès des familles. « De plus, les gens du réseau sont déjà dépassés par leurs tâches et n’ont pas le temps de faire de la formation », observe M. Tarabulsy.
Une séquence de cours ou un stage auprès des familles en situation de vulnérabilité pourrait ainsi améliorer l’efficacité des interventions et limiter les effets sur les tout-petits si une autre crise survient.
Par Kathleen Couillard
Titulaire d’une maîtrise en microbiologie, Kathleen Couillard œuvre comme journaliste scientifique depuis plus de 10 ans. Elle a également occupé le poste de conseillère au transfert des connaissances à l’Observatoire des tout-petits pendant deux ans et demi. Elle collabore maintenant avec différents médias dont l’Agence Science-Presse, Naître et grandir, L’Actualité et Protégez-Vous. Elle s’intéresse plus particulièrement à tout ce qui touche la santé, la famille et le développement des enfants.
Pour aller plus loin
Consulter les autres contenus de notre dossier Web sur la pandémie
Consulter notre Portrait des politiques publiques