«Après la crise du virus, il y aura une crise de santé publique». Entretien avec Alain Poirier
Alain Poirier est médecin, spécialiste en médecine interne et en santé publique. Il oeuvre dans le réseau de la santé publique du Québec depuis 30 ans. Il a occupé le poste de directeur national de santé publique et de sous-ministre adjoint à la santé publique au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec de 2003 à 2012. Il est actuellement directeur de santé publique par intérim en Estrie. Il participe également à des missions à l’étranger comme consultant-expert en santé publique.
Il est très difficile de tirer des conclusions à l'heure actuelle. Les études se poursuivent, mais tous les experts arrivent à peu près à la même conclusion pour l'instant : il y a très peu de décès et d'hospitalisations pour les personnes âgées de moins de 30 ans. Cela est encore plus vrai pour les plus petits. Les études semblent plutôt montrer que les enfants sont moins enclins à attraper le virus et, s'ils l'attrapent, à développer moins de symptômes ou des symptômes plus légers que les adultes.
Aussi, je suis presque convaincu que nous allons faire la démonstration, dans un futur pas si lointain, que le virus qui circule n’est pas le même partout. À cause des mutations, certaines régions ont possiblement affaire à un virus plus sévère qu'ailleurs. Cela expliquerait aussi pourquoi la situation du Québec n’est pas la même que celle du reste du Canada. Nos cas sont venus d’autres endroits dans le monde suite à plusieurs voyages durant la semaine de relâche, ce qui n'est pas le cas pour les autres provinces. Ensuite, il existe des différences génétiques entre les populations et les individus. Cela pourrait aussi expliquer plusieurs différences dans les recherches.
En termes de transmissibilité, contrairement à d’autres virus respiratoires comme la grippe, il semble que le coronavirus actuel soit très peu transmis par les enfants. Le fait qu’ils ont moins tendance à développer des symptômes sévères peut être une explication. Très peu d’études tendent vers l’hypothèse que les enfants soient des vecteurs importants de transmission du virus. Tout ça est plutôt rassurant, surtout en contexte de déconfinement et de réouverture des services de garde et des écoles dans la plupart des régions du Québec.
Depuis la réouverture des services éducatifs à la petite enfance et des écoles en Estrie, nous n’avons pas vu de signes d’éclosion. Avec toutes les mesures mises en place partout, la probabilité d’une deuxième vague causée par ces réouvertures est très faible, à mon avis. Je suis plutôt confiant!
Je pense qu’il faut maintenant envisager la situation comme étant une crise de santé publique et non seulement comme une crise de maladie infectieuse. Il est maintenant temps de s’occuper des autres déterminants que sont la pauvreté, l’alimentation, la détresse psychologique, l’isolement et le soutien social.
Les Montréalais ne sont pas plus infectieux que les autres Québécois. Si on fermait la ville, cela voudrait dire que l'on présume que les gens de Montréal sont plus porteurs que les autres. Peut-être, par contre, que le virus de la communauté métropolitaine est différent de celui que l'on retrouve ailleurs dans la province. La différence principale, c’est qu’il y a davantage de pauvreté à Montréal que dans les autres régions du Québec. Il y a aussi beaucoup plus de personnes qui habitent des logements trop petits ou inadéquats et une grande proportion de la population montréalaise occupe des emplois moins payants dans des services essentiels, comme les épiceries, par exemple. C'est ce qui pourrait expliquer qu'il y a davantage de cas dans la métropole qu'ailleurs au Québec. Des études nous renseigneront sur ce point, je l'espère.
Je pense que maintenant que la menace du virus semble moins grande, il faut envisager la situation comme étant une crise de santé publique et non seulement comme une crise de maladie infectieuse. Il faut désormais s’occuper des autres déterminants mis de côté dans les dernières semaines: la pauvreté, l’alimentation, la détresse psychologique, l'isolement et le soutien social.
Dans les mois à venir, nous pourrions voir une hausse de la consommation de drogues et d’alcool, une hausse du taux de suicide, de la détresse importante chez les familles, une hausse de la violence envers les femmes et les enfants, des troubles d’alimentation, etc. Aucun déterminant de la santé n’a été épargné par cette crise. Les conséquences seront énormes si on ne prend pas les mesures nécessaires, dès maintenant, pour venir en aide aux personnes dont la vulnérabilité s'est accentuée à travers la crise.
La pauvreté, l’alimentation, la détresse psychologique, l’isolement et le manque de filet social, en temps normal, sont de plus gros problèmes sur la santé des individus que le virus qui nous menace depuis février. Il faut s'en préoccuper maintenant, sinon les conséquences sur la société, à moyen et à long termes, seront énormes.