Les effets de la pandémie sur le bien-être des éducatrices au travail : Entretien avec Nathalie Bigras
La pandémie a eu plusieurs effets sur le personnel de la petite enfance au Québec. Une nouvelle étude nous apprend qu’une intervenante sur deux affirme avoir ressenti à la fois plus de stress et moins de bien-être au travail depuis le début de la pandémie.
Ce sont là les deux principaux constats faits par les professeures Nathalie Bigras et Lise Lemay, du Département de didactique de l’UQAM. Elles ont mené une étude sur l’influence de la pandémie sur le personnel des CPE engagé en service d’urgence, au printemps dernier, en collaboration avec le Regroupement des CPE de la Montérégie.
En tout, 545 membres du personnel de la petite enfance (dont 81% sont des éducatrices) ont été sondés en Montérégie en avril 2020; puis 284 autres ont été interrogés (dont 66% sont des éducatrices) le mois suivant, dans les régions de Mauricie-Centre du Québec, Estrie et Québec-Chaudières-Appalaches.
Voici les faits saillants de l’étude:
Stress au travail
- 51% des répondantes en Montérégie disent avoir connu plus de stress au travail en avril dernier; elles sont 45,8% à dire la même chose dans les autres régions du Québec en mai;
- 41,5% des professionnelles de la Montérégie indiquent que le stress était toujours présent au moment du déconfinement comparativement à 38,4% pour celles des autres régions québécoises.
Dans le cas à l’étude, le stress est lié à la situation inusitée de pandémie et au fait de tenir les services d’urgence, aux risques de contamination et à la gestion des recommandations et des consignes (nombreuses et changeantes) de la santé publique.
Bien-être au travail
- 53% des répondantes en Montérégie affirment avoir connu une diminution de leur bien-être au travail en avril dernier. Ce taux est de 42,2% dans les trois autres régions du Québec, en mai;
- 21,8% des professionnelles de la Montérégie précisent que le bien-être au travail était faible lors de la période de déconfinement par rapport à 34,1% pour celles des trois autres régions sondées.
Ici, le bien-être est lié à la situation de risques dans laquelle le personnel était plongé et à l’instauration de nouvelles dispositions sanitaires incluant les mesures barrières (port du masque, de la visière, distanciation, etc.): tout cela a créé une forme d’anxiété croissante, mentionne l’étude.
Des actions possibles pour diminuer le stress des éducatrices
L’étude s’est penchée sur l’état émotif des éducatrices en période de télétravail ainsi que sur leurs attentes et leurs inquiétudes au moment du déconfinement. Voici ce qui ressort de leurs réponses :- Aider au maintien de la distanciation sociale: 38% des répondantes affirment qu’il s’agit du plus grand défi du déconfinement;
- Conserver un faible ratio, soit une éducatrice pour deux ou trois enfants : 88% croient que cela a aidé lors de la prise en charge des enfants en services de garde d’urgence et 30% suggèrent de maintenir ce faible ratio au moment du déconfinement;
- Maintenir des horaires allégés: 50% indiquent que c’est un élément facilitateur;
- Établir des communications directes avec les parents: 12% mentionnent que cela facilite les relations avec les parents et les enfants;
- S’assurer que ces communications ne sont pas écourtées à cause de la distanciation: 26% croient que la distanciation nuit aux communications;
- Solidifier les liens d’équipe: en temps de crise, 33% des membres du personnel en petite enfance soutiennent que l’entraide entre collègues a aidé aux relations en télétravail.
Compte tenu de nos connaissances actuelles sur l’importance de la qualité des services de garde, on peut émettre l’hypothèse que les effets sur les enfants de ces fluctuations de bien-être et de stress sont sans doute minimes dans les services de garde éducatifs dont le niveau de qualité est élevé. A l’inverse, les milieux de moindre qualité ont sans doute plus de difficulté à protéger les enfants de ces effets.
- Nathalie Bigras, co-auteur de l'étude
En charge de l’étude, Nathalie Bigras est directrice scientifique de l’Équipe Qualité des contextes éducatifs de la petite enfance depuis 2007, en plus d’être professeure au département de didactique de l’UQAM. Afin de mieux saisir l’ampleur et l’impact des résultats de cette étude, elle a répondu à nos questions.
Le niveau de stress plutôt bas et le taux de bien-être plutôt élevé en télétravail. Je croyais que le fait de travailler à la maison, de faire de nouvelles tâches et de devoir concilier travail et famille à la maison pour plusieurs allaient apporter plus de stress… Mais force est d’admettre que même si les tâches étaient nouvelles, les répondantes se sentaient en contrôle, utiles et compétentes.
(NDLR : les nouvelles tâches des éducatrices concernaient, par exemple, des formations en ligne, le visionnement de capsules vidéo, la création de capsules vidéo pour les enfants et pour les parents, les rencontres virtuelles avec les enfants et les collègues, etc.)
C’est difficile à dire et je ne peux qu’émettre des hypothèses. Je pense que les effets ont été minimes. D’abord parce que les enfants étaient très peu nombreux dans les services d’urgence et que le ratio, environ à une éducatrice pour deux enfants, a beaucoup aidé la situation. Les éducatrices nous ont confié qu’elles ont fait ce qu’elles ont pu, et que le but était que les enfants se sentent bien. Elles ont donc servi de bouclier pour les enfants.
Encore là, difficile à dire. Chose certaine, la période la plus difficile a été celle du déconfinement et d’un certain retour à la normale. Les éducatrices ont vécu un stress d’anticipation, une anxiété même. Il y a eu de la résistance pour certaines et beaucoup d’inquiétudes.
À moyen-long terme, avec la pandémie qui se prolonge et dont on ignore la durée et l’intensité, les membres du personnel de la petite enfance peuvent être fatigués et démotivés. Cela vient ajouter de la pression sur un milieu où l’on manque déjà de ressources et de personnel. Je ne pense pas que les effets se fassent sentir sur les enfants, mais il y a un impact chez les éducatrices. On peut observer un manque d’engagement ou de motivation, par exemple. Une baisse des demandes d’admission était déjà observé depuis quelques années dans les programmes en technique d’éducation à l’enfance. Ce phénomène n’aide pas la pénurie actuelle du personnel qui semble s’accroître en période de pandémie.
Il faut les accompagner! Il faut, je pense, échanger et parler de stratégies pour trouver des solutions ensemble. Je crois aussi que c’est un milieu qui a besoin de ressources financières et surtout, de reconnaissance. C’est urgent de reconnaître que ce réseau-là a porté, à bout de bras, les services d’urgence en temps de crise.