Sondage : comment les pères vivent-ils la séparation?
Près de 4 pères sur 10 vivront une séparation conjugale1, à travers laquelle un grand nombre d’entre eux devront apprendre à tisser et entretenir le lien avec leurs enfants. Un bouleversement familial qui apporte son lot de préoccupations et de défis, mis en lumière par un récent sondage auprès de pères québécois dont la rupture remonte à 10 ans ou moins.
Comment s’est passée leur séparation? Quels types de garde, de pension, ont été adoptés? Quelles étaient leurs craintes, et se sont-elles avérées fondées? Se sont-ils sentis entendus à travers le processus? Les réponses à ces questions ont permis de nourrir les travaux du Comité de travail national sur les pères et la séparation conjugale, qui vient de dévoiler 12 stratégies pour aider les pères à vivre une meilleure expérience coparentale durant cette période délicate.
Le sondage, mené auprès de 574 pères québécois par la firme Léger pour le Regroupement pour la Valorisation de la Paternité (RVP), permet un premier constat : l’enfant est au cœur des préoccupations paternelles. Au moment de la rupture, près des trois-quarts des pères interrogés disent s’être inquiétés de la stabilité de la routine de leurs enfants (73%), et de la qualité de leur relation avec eux (72%). Dans les faits, ces préoccupations ne sont pas toutes avérées. Près d’un père sur deux (48%) estime que les conséquences sur la relation ont été plus positives qu’anticipé.
Des séparations qui arrivent tôt
La séparation concerne une proportion importante de parents, rappelle Raymond Villeneuve, le directeur général du RVP. Elle donne lieu à une garde partagée dans presque 6 cas sur 10, indique le sondage. Elle intervient souvent tôt dans la vie des familles : 72% des participants avaient un ou plusieurs enfants de 5 ans ou moins.
« La séparation ne touche pas seulement les adolescents, elle arrive aussi dans la vie des tout-petits, résume Raymond Villeneuve. Il faut en prendre acte et se demander quel est leur vécu, quels sont leurs besoins, comment on peut être là pour eux. »
Du côté des organismes communautaires qui accompagnent les pères, on observe aussi que la séparation arrive de plus en plus tôt. Thomas Henry, coordinateur chez CooPÈRE, à Montréal, a remarqué même une augmentation du nombre de séparations avant la naissance. Dans le Réseau Maisons Oxygène, les pères en difficulté venus chercher hébergement et soutien sont de plus en plus souvent accompagnés de jeunes et très jeunes enfants, ce qui a poussé les équipes à se rapprocher des CLSC et des CPE et à proposer des ateliers d’activités pères-enfants de 1 à 7 ans.
« Ça permet d'avoir un contact avec ces pères-là, de les accompagner dans leur rôle d'éducateur, mais ça leur permet aussi de consolider leur rôle, même en étant séparé », explique Sébastien Trudel, directeur du soutien au développement des Maisons Oxygène.
Le point commun entre tous les pères est leur désir de maintenir une coparentalité positive et de ne pas dégrader la relation avec l’enfant, ajoute Sébastien Trudel. Le sondage montre d’ailleurs que 59% des pères parviennent à s’entendre avec l’autre parent quand survient un différend à propos des enfants.
Un indispensable soutien
Cependant, moins de la moitié dit se sentir écouté et respecté par l’autre parent, un manque de reconnaissance qui rappelle les données de l’Enquête québécoise sur la parentalité, telles qu’analysées par la professeure Tamarha Pierce. Cette dernière soulignait combien le soutien et l’encouragement des mères envers les pères est essentiel à l’engagement paternel.
Le soutien aux pères de tout-petits est d’autant plus nécessaire qu’ils disent ressentir plus d’inquiétudes que les pères d’enfant plus âgés. Ils s'inquiètent notamment des répercussions de la séparation sur leur santé mentale (65% contre 55%), physique (48% contre 36%) ou leur capacité à se reloger (53% contre 43%), révèle le sondage.
« Quand on a un tout-petit, l’intensité des besoins est souvent très grande. Si les pères se retrouvent seuls, c’est très possible qu’il y ait un vertige », avance Raymond Villeneuve.
Sans parler de l’augmentation du coût de la vie, qui touche durement les familles monoparentales. Dans le cadre de son travail, Sébastien Trudel constate une tendance générale à l’appauvrissement des pères, qui rencontrent de plus en plus de difficultés à se loger, malgré l’aide des intervenants, après leur passage par une Maison Oxygène.
En général, le réseau de soutien des pères est moins fort que celui des mères en cas de coup dur, note Raymond Villeneuve. Mais le sondage montre que les pères qui se sont séparés alors qu’ils avaient de jeunes enfants étaient plus nombreux à avoir eu recours à des intervenants des services communautaires (31% contre 18% chez les pères d’enfants plus âgés).
Souvent, les pères se tournent vers des organismes qui offrent des services à la petite enfance, qu'ils connaissent déjà, estime Thomas Henry, de CooPÈRE.
« La paternité est un vecteur facile pour les gars pour rentrer dans les services d’aide, dit-il. Ils ne viennent pas pour eux, ils viennent pour les enfants. Ça respecte les rôles genrés avec lesquels on vit tous, cette idée qui traîne encore dans l’air que les hommes sont forts et n’ont pas besoin d’aide. »
Sensibiliser le milieu juridique
Un autre élément préoccupant ressort du sondage : une perception chez plus de la moitié des participants que le système judiciaire n’est pas adapté aux réalités des pères et ne leur laisse pas d’espace pour exprimer leur point de vue.
Le Comité de travail national sur les pères et la séparation conjugale, un groupe d’experts issus des milieux juridiques, de la recherche et des services communautaires, a tenu compte de ces résultats dans les stratégies qu’il a proposées en juin, à l’occasion de la 12e édition de la Semaine Québécoise de la Paternité. Ces stratégies comprennent par exemple des propositions concrètes pour rendre la médiation familiale plus attrayante, promouvoir le droit collaboratif en matière familiale, ou améliorer l’accessibilité et l'efficacité de la justice en matière familiale.
Une avancée serait de former le personnel juridique aux réalités paternelles et masculines, comme cela existe dans le système de la santé, explique Raymond Villeneuve.
« Quand on arrive devant un avocat, devant un tribunal ou encore en médiation, la détresse, l’angoisse de ne pas être compris peut être énorme, dit-il. Que les membres du Barreau soient conscients des réalités paternelles et du rapport à l’aide des hommes permettrait une approche plus sensible pour les accompagner tout au long de la procédure. »
La séparation conjugale peut avoir des effets bénéfiques si elle éloigne l’enfant d’un milieu conflictuel ou dysfonctionnel. Sinon, elle peut avoir des effets négatifs à court terme, surtout pendant la période préscolaire, en raison du grand nombre de changements qu’elle provoque. Ces répercussions seront plus grandes si des conflits parentaux persistent après la séparation, car un faible niveau de coopération entre parents est associé à un risque plus élevé de difficultés pour les enfants. Globalement, bien que les transitions familiales puissent être une source de stress pour les enfants, elles peuvent avoir des effets bénéfiques lorsque l’enfant se retrouve dans un milieu sans conflit2.
Pour aller plus loin
Lire les résultats du sondage.
Découvrir les 12 stratégies du Comité de travail national sur les pères et la séparation conjugale
Consulter notre dossier web Comment favoriser l'engagement des pères par nos politiques publiques
1. Desrosiers et Tétreault, 2018.
2. Observatoire des tout-petits (2021). Comment favoriser le développement des tout-petits avant leur entrée à l’école ? L'importance de la qualité, de la stabilité et de la continuité des environnements.