Devenir papa: les enjeux de la paternité en période périnatale
« Être père entraîne un changement des priorités dans la vie », disait un homme interrogé dans un groupe de discussion sur la paternité. Cette transition vécue pendant la période périnatale ne se fait pas toujours facilement. Il est donc important d’agir puisque ce moment aura des répercussions sur la coparentalité et le bien-être de la famille.
Selon Thomas Henry, agent de projet pour l’organisme CooPère Rosemont, plusieurs préoccupations reviennent souvent chez les futurs papas. « Est-ce que je saurai m’occuper d’un petit bébé? Comment bien soutenir ma conjointe? Sera-t-on toujours un couple lorsqu’on deviendra une famille? »
Des experts rapportent qu'il existe un décalage entre le vécu des pères et celui des mères pendant la grossesse. « Cela va devenir concret beaucoup plus rapidement pour la femme que pour l’homme », explique Christine Gervais, professeure à l’Université du Québec en Outaouais. « Il est rare qu’ils aient entendu le discours qu’ils sont compétents pour prendre soin d’un bébé et que c’est à eux de le faire. Les pères se rendent aussi compte qu’ils connaissent peu de choses sur le processus de la grossesse et de l’accouchement », souligne Thomas Henry.
Les pères ont l’impression d’être peu informés avant la naissance, confirme Christine Gervais. On s’attend à ce qu’ils soient présents à l’accouchement, mais une fois qu’ils sont là, le personnel ne sait pas trop quoi faire avec eux. Ils sentent qu’ils n’ont pas tellement un rôle actif. »
Des répercussions sur la coparentalité
Selon Francine de Montigny, professeure à l’Université du Québec en Outaouais, le principal enjeu concernant la paternité en période périnatale est le fait de ne pas être reconnu comme un parent à part entière. « On ne considère pas l’expertise du père, déplore-t-elle. On le restreint uniquement dans un rôle de soutien. »
Certains pères en viendraient donc à s’exclure parce qu’ils ont l’impression que leur présence n’est pas importante. Ceux qui tentent de s’inclure peuvent se sentir moins compétents que leur conjointe. « Cela fait que la femme va se retrouver avec plus de responsabilités et plus de choses à faire », souligne Mme de Montigny.
« Les pères d’aujourd’hui se sont fait dire toute leur vie que ce ne sont pas les hommes qui s’occupent des enfants, ajoute Thomas Henry. Pendant la grossesse, on leur demande d’être un bon soutien dans l’attente des consignes et des besoins de la maman. Ensuite, du jour au lendemain, ils doivent partager la charge mentale et faire la moitié des tâches. Ça ne fonctionne pas. Il faut permettre aux pères de s’impliquer le plus tôt possible pour casser cette dynamique. » Selon lui, plus le père sent tôt qu’il a une place importante, plus on augmente les chances qu’il prenne en charge de manière égalitaire les soins des enfants et la charge mentale. Les effets à long terme sont donc bien réels.
Mieux adapter les services aux pères
Selon Thomas Henry, plusieurs pères se sentent exclus par les professionnels œuvrant en périnatalité qui ont malheureusement tendance à s’adresser seulement à la mère. « Il s’agit d’un milieu où les femmes sont habituées de travailler avec des femmes, souligne Christine Gervais. Ce n’est alors pas évident de rendre le père visible. » Par exemple, dans les grilles de suivi prénatal, une seule case concerne le père et c’est celle qui évalue la présence de soutien pour la mère.
Il est pourtant simple de reconnaître l’importance du père, selon Francine de Montigny. « Il faut l’inviter aux rencontres, lui dire qu’on est content qu’il soit là, lui demander quelles sont ses préoccupations. » S’il n’est pas présent, les intervenants devraient s’intéresser aux raisons de son absence et voir si l’horaire peut être modifié pour l’accommoder.
Par ailleurs, selon Thomas Henry, le modèle actuel de cours prénataux où un intervenant donne de l’information aux parents de manière verticale n’est pas optimal pour les hommes. Il privilégie plutôt une approche horizontale, de père à père.
En s’appuyant sur l’expertise des papas plus anciens et avec les questions des nouveaux, on arrive à bâtir là-dessus, tout en ajoutant des éléments un peu plus scientifiques, » mentionne-t-il.
Allonger le congé de paternité
Christine Gervais croit qu’une autre partie de la solution réside dans l’amélioration du congé de paternité. « Pendant les 10 mois où la mère ne fait que s’occuper du bébé, elle va aussi prendre en charge la majorité des tâches familiales. Quand elle retourne au travail, si le père n’a pas vécu l’expérience d’être seul avec l’enfant, il ne sait pas ce qu’il y a à faire. On ne peut donc pas lui reprocher de ne pas prendre l’initiative. »
Cette position est partagée par Thomas Henry.
Tant que le congé de paternité est plus court que le congé de maternité, le message qu’on envoie, c’est que ce n’est pas aux pères de s’occuper des enfants. »
Christine Gervais croit qu’il faut allonger le congé réservé aux pères. « On sait que les pères prennent les 5 semaines qui leur sont réservées. Ce serait donc un incitatif intéressant. Le congé devrait aussi s’échelonner sur une plus grande période de temps. »
De plus, il faut sensibiliser les employeurs. « Le message ne s’est pas encore rendu dans certains milieux de travail, déplore Mme Gervais. Pour les hommes, prendre congé pour son enfant est vraiment mal vu. Dans les milieux traditionnellement masculins, l’importance du rôle de père est un enjeu à faire reconnaître. »
Enfin, selon Francine de Montigny, les médias ont également un rôle à jouer pour valoriser la place du père. « Il ne faut pas parler seulement de dépression et d’anxiété quand on aborde la paternité. On doit aussi parler de la contribution du père au développement de l’enfant. »
Une vision que partage Thomas Henry.
Ce qui manque dans la culture et dans les médias, c’est davantage de pères avec leurs enfants. Tant que l’on considèrera que la sensibilité et les émotions ne sont pas pour les hommes, on aura le même problème. »