Développer un nouveau « réflexe paternité »
Raymond Villeneuve est directeur général du Regroupement pour la Valorisation de la Paternité (RVP).
L’expression « réflexe paternité » n’est pas de moi. Sa paternité revient en fait à Yolande James qui, à titre de ministre de la Famille, au moment de reconnaître officiellement le RVP en 2011, avait déclaré : « Je souhaite que le gouvernement du Québec développe le réflexe paternité ».
Dix ans et cinq ministres de la Famille plus tard, je crois que le temps est maintenant venu de concrétiser cette idée toute simple, mais ô combien porteuse, qui consiste à s’assurer que les mesures des politiques publiques conçues pour soutenir les parents et les familles rejoignent aussi les pères. Rien que ça. Mais tout ça!
Affirmer une telle chose semble relever de l’évidence en 2021, mais c’est parce qu’on oublie à quel point la norme sociale concernant la paternité a évolué rapidement. Qu’il y a trente ans à peine, les pères n’étaient pas du tout sur le radar des politiques de soutien à la famille.
Première révolution : reconnaître l’importance de l’engagement des pères
Que s’est-il passé? D’abord, en 1991, Camil Bouchard fût le premier à parler de valorisation de l’engagement paternel dans son rapport Un Québec fou de ses enfants. Puis, en 1997, le Québec adopte une politique familiale audacieuse qui crée les services de garde éducatifs, accessibles et abordables, favorisant ainsi la participation des femmes au marché du travail. Par la suite, en 2006, l’introduction du congé de paternité allait concrétiser l’engagement des pères dès la naissance de leur enfant.
On dit souvent que les politiques publiques sont le reflet de la culture d’une société à un moment précis de son histoire. Or, l’exemple de ces politiques démontre à quel point ce sont de puissants leviers pour accélérer l’évolution des normes sociales. Et il faut reconnaître aussi que les pères ont répondu présent quand on leur a ouvert la porte, puisque plus de 80 % d’entre eux prennent aujourd’hui leur congé de paternité.
Deuxième révolution : l’apparition de mesures de soutien pour les pères
L’engagement des pères s’est donc accru, et ils ont souhaité, de plus en plus, devenir des « parents à part entière ». Une nouvelle réalité apparaît alors : les pères ont besoin, eux aussi, d’être soutenus, et ce soutien doit être adapté à leurs besoins et à leurs réalités. À la fin des années 90, les organismes communautaires commencent à créer des services pour soutenir les pères en difficulté. Dans les années 2000, les organismes communautaires qui soutiennent les familles entreprennent d’adapter leurs pratiques aux réalités paternelles. Dans les années 2010, ce mouvement s’accélère, puis, en 2017, des mesures spécifiques de soutien aux pères apparaissent coup sur coup dans deux politiques importantes : le Plan d’action ministériel en santé et bien-être des hommes (2017-2022) du ministère de la Santé et des Services sociaux et la Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes : vers 2021.
Aujourd’hui, le consensus est de plus en plus grand quant à l’importance de soutenir pleinement les mères et les pères pour le bien-être de leurs enfants. Dans son rapport présenté en mai dernier, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (Commission Laurent) l’écrit d’ailleurs en toutes lettres : « Les parents, tant les mères que les pères, ont besoin d’un soutien adapté à leur réalité ». Il s’agit là d’une reconnaissance majeure.
Troisième révolution : le « réflexe paternité »
Et maintenant, comment aller plus loin et implanter un vrai « réflexe paternité » pour faire en sorte que nos politiques publiques et nos services à la famille incluent pleinement les pères? D’abord, en scrutant nos mesures actuelles et en « testant » leur inclusivité à l’égard des réalités paternelles. Est-ce que le vocabulaire inclut les pères? Est-ce que les objectifs intègrent les réalités paternelles? Les moyens de mise en œuvre permettent-ils d’inclure les pères? Et finalement, la mesure rejoint-elle effectivement les pères? Sinon, que fait-on pour y remédier? Lorsque l’on crée une nouvelle politique ou un nouveau service, il faut bien sûr s’assurer, avec les mêmes balises, que ces stratégies atteignent effectivement les pères. Et pour cela, il est nécessaire de mieux les connaître et de mieux les comprendre. De bien documenter leurs besoins, notamment ceux des pères en difficulté, afin de mettre en place des stratégies adéquates pour y répondre.
Il est donc essentiel de reconnaître l’importance de l’engagement des pères pour assurer un meilleur développement de leurs enfants, pour avancer collectivement vers une parentalité plus égalitaire, et pour accroître le bien-être des pères eux-mêmes, ce qui bénéficiera à tous les membres de la famille et à la société tout entière.
Le présent dossier Web de l’Observatoire des tout-petits est de la première importance puisqu’il envoie un message sociétal majeur : l’engagement des pères est un élément incontournable pour le bien-être des tout-petits. Ne pas le constater nous prive de leviers fondamentaux pour favoriser le mieux-être des nos enfants.
Au cours des prochaines années, nous aurons plusieurs occasions bien concrètes de mettre à l’épreuve ce nouveau « réflexe paternité »: le nouveau Plan d’action ministériel en santé et bien-être des hommes, la nouvelle Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes, la nouvelle Politique de périnatalité, la mise en œuvre des recommandations de la Commission Laurent, la réforme du droit de la famille, etc. Sommes-nous prêts à prendre ce virage?
Moi, je crois que oui. Et vous?