Pères et séparation : des services de soutien peu connus
La séparation touche un peu plus du tiers des couples québécois ayant des enfants. Il est encourageant de noter que la majorité d’entre eux vit bien la situation. Toutefois, pour 30 % des cas, la transition est plus difficile et 10 % connaissent une séparation hautement conflictuelle. La chercheuse Diane Dubeau s’est intéressée plus particulièrement au vécu des pères, un sujet peu exploré à ce jour.
Une séparation n’est jamais facile, que ce soit pour les mères ou pour les pères, mais selon les travaux que nous avons menés, les hommes ont plus de difficultés à composer avec cette situation. C’est un contexte qui suscite beaucoup de détresse, et peut-être davantage chez certains pères. - Diane Dubeau, professeure au Département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais.
Selon Diane Dubeau, il ne faut pas considérer la séparation comme un événement, mais plutôt comme un processus. Dans ce contexte, la chercheuse remarque un décalage entre l’expérience du père et celle de la mère. « Ce sont souvent les mères qui annoncent officiellement la séparation, observe-t-elle. Les pères sont alors en état de choc. Certains disent ne pas l’avoir vu venir, bien qu’ils admettent que la relation n’allait plus très bien, mais ils ne croyaient pas en être rendus là. »
Cela peut notamment avoir des conséquences sur le plan de la garde des enfants. « Sous le choc suite à l’annonce, ils n’ont pas encore eu le temps de réfléchir aux modalités de garde et ne pensent pas à faire la demande de garde, explique Diane Dubeau. Souvent, ce sont eux qui quittent le domicile familial et peu considèrent le fait de prendre les enfants avec eux. » Lorsque le processus juridique se prolonge, les enfants vont généralement rester où ils étaient au moment de la rupture, c’est-à-dire chez la mère. Certains pères n’auront alors pas de contact régulier avec leurs enfants pendant plusieurs mois, voire des années en attendant le jugement de la cour.
« Cela peut être vécu difficilement », déplore la chercheuse. Cela est d’autant plus vrai que les hommes sont de plus en plus engagés auprès de leurs enfants, et ce, dès le plus jeune âge. D’ailleurs, les gardes partagées sont plus fréquentes, car les pères veulent maintenir ce lien. La perte de ce contact régulier avec les enfants ou la difficulté d’accès suscitent ainsi chez certains pères des insatisfactions, de la colère ou de la détresse.
Par ailleurs, lors d’une séparation, les stratégies adoptées par les pères pour gérer la situation sont souvent moins positives. Notamment, ils parlent moins de ce qu’ils vivent avec des proches et vont moins chercher de soutien. « Ils ont donc moins de ressources pour composer avec cette rupture », ajoute Diane Dubeau.
Des services peu connus et peu utilisés
Diane Dubeau et ses collègues ont donc voulu en savoir plus sur les services offerts aux pères en contexte de séparation. Pour ce faire, elle a eu recours aux données de l’Enquête longitudinale auprès des familles séparées et recomposées du Québec. « Il s’agit de la première enquête populationnelle longitudinale à ce sujet, souligne Diane Dubeau. Des données qui sont représentatives des 56 000 parents séparés québécois. Cela nous donne un portrait qui est proche de la réalité québécoise. »
L’enquête a notamment interrogé les mères et les pères sur leur connaissance et leur utilisation de deux grandes catégories de services. D’abord, on retrouve les services psychosociaux qui regroupent les services de consultation offerts par le réseau public, les organismes communautaires et les professionnels en pratique privée, mais aussi les ateliers ou groupes d’entraide et les lignes d’aide téléphonique. La deuxième catégorie inclut les services psychojuridiques comme les séances d’information sur la parentalité et la médiation familiale gratuite ou payante.
Les données préliminaires de l’enquête démontrent que les services psychosociaux sont méconnus chez les parents séparés en général. Par ailleurs, les pères auraient tendance à moins les connaître et les mères à les utiliser davantage. Pour ce qui est des services psychojuridiques, ils sont plus connus et utilisés par près de la moitié des pères séparés. Les résultats indiquent toutefois que leur utilisation dépend surtout de l’âge du père et de son revenu.
Mieux répondre aux besoins des pères séparés
L’étude démontre toutefois que les pères qui vivent le plus de détresse ne sont pas ceux qui ont davantage recours aux services disponibles.
Les pères ne vont pas spontanément vers le réseau de la santé et des services sociaux ou vers les organismes communautaires. Ils les connaissent peu et les utilisent donc moins. De plus, ils ont souvent le réflexe de vouloir régler par eux-mêmes la situation. - Diane Dubeau
L’étude a également relevé des obstacles à l’utilisation des services. Les deux principaux sont le coût et l’horaire des services. Vient ensuite le manque de confiance envers les professionnels. Par ailleurs, les pères qui n’utilisent pas les services psychosociaux donnent comme raison le fait qu’ils ont peu de difficultés à s’adapter à la séparation ou qu’ils sont capables de gérer leurs difficultés eux-mêmes.
Du côté des services psychojuridiques, les pères interrogés qui n’y ont pas eu recours indiquent qu’ils se jugent capables de gérer les conséquences juridiques eux-mêmes ou qu’ils ne se sont pas questionnés sur les implications juridiques de la séparation.
Selon Diane Dubeau, les services psychojuridiques pourraient toutefois constituer une porte d’entrée de choix pour les pères. « Plusieurs hommes ont des questions qui relèvent du juridique, souligne-t-elle. Par exemple, quels sont leurs droits ou comment procéder pour avoir la garde des enfants. » Après avoir donné des réponses aux questions juridiques, les intervenants pourraient en profiter pour voir comment se porte le père et lui offrir du soutien psychosocial au besoin ou l’orienter vers d’autres types de ressources.
Cet exemple montre l’importance d’une plus grande collaboration entre les différentes ressources pour les pères séparés. « Ce serait intéressant de décloisonner et de s’alimenter mutuellement, confirme la chercheuse. Le psychojuridique peut donner accès au psychosocial et vice versa. » Par exemple, un organisme communautaire qui offre du soutien peut à la fois offrir de l’écoute à un père et l’aider à préparer ses questions pour le milieu juridique.