
Mieux accompagner les pères d’enfants prématurés

Chaque année au Québec, des milliers de familles accueillent un bébé prématuré. Une épreuve sur le plan médical, mais aussi sur le plan émotionnel, que les pères et les mères vivent souvent différemment. Jean-Philippe Mercier le sait par expérience. Et en tant que travailleur social chez Préma-Québec, un organisme qui offre du soutien aux familles d’enfants nés prématurément, il veille au quotidien à ce que les besoins spécifiques des pères d’enfants prématurés soient vus et considérés.
Jean-Philippe Mercier accompagne des parents dont les bébés sont venus au monde trop tôt. S’il a choisi cette vocation, c’est parce qu’il sait pour l’avoir vécu que les pères souffrent souvent en silence.
Il était une fois, l’inconnu
Lorsque Jean-Philippe Mercier et sa conjointe décident d’avoir un deuxième enfant, la question de la prématurité ne leur effleure pas l’esprit.
« La première grossesse a été presque parfaite, notre fille est même née trop tard, raconte-t-il. La prématurité et les complications de grossesse ne faisaient pas du tout partie de nos réflexions. »
Jusqu’au 5e mois de grossesse, en avril 2019, où tout bascule.
La conjointe de Jean-Philippe Mercier commence à avoir des saignements anormaux. S’en suivent des suivis médicaux de plus en plus réguliers, puis trois périodes d’hospitalisation.
Puis, au bout de 30 semaines de grossesse, sa conjointe perd ses eaux.
« Le médecin nous dit Madame, vous allez accoucher. Instinctivement, j’ai répondu Il n’en est pas question, ce n’était pas prévu. Je suis même devenu un peu irritable, c’était complètement inconcevable pour nous à ce moment-là. »
Inconcevable, mais bien réel. Peu de temps après, leur petit garçon de 1 400 grammes est venu au monde par césarienne. Un événement heureux, certes, mais complexe sur le plan émotionnel.
« On te répète sans cesse que le jour de la naissance de ton enfant, c’est censé être le plus beau jour de ta vie, note Jean-Philippe Mercier. Mais dans notre cas, on parle d’une période qui est remplie d’anxiété, d’incertitude. C’était un mélange d’émotions, tant pour ma conjointe que pour moi. »
Prendre soin de la santé mentale des parents
La Dre Marie St-Hilaire est néonatologiste à l’Hôpital Maisonneuve Rosemont. C’est l’aspect familial qui la pousse à vouloir travailler avec les bébés prématurés.
« La prématurité d’un enfant représente parfois un deuil pour les parents, c’est une grande épreuve qui est associée à beaucoup de stress post-traumatique, note Dre St-Hilaire. Il est donc très important de prendre soin de la santé mentale des parents dès la naissance et le plus longtemps possible, pour éviter de nuire au développement de l’enfant. »
Et cette période de détresse est aussi difficile pour les mères que pour les pères. Or, ces derniers vivent souvent leur détresse dans l’ombre, parce qu’ils tentent de rester forts.
« Bien entendu, il est important qu’un enfant prématuré reçoive une attention médicale spécialisée, précise Dre St-Hilaire. Mais la famille qui l’entoure est également très importante pour assurer son bon développement. Il faut le stimuler pour protéger son cerveau. »
À l’inverse, la santé mentale des parents peut influencer négativement le développement des enfants prématurés.
Vers des pratiques adaptées
De son côté, Jean-Philippe Mercier n’a pas senti qu’on lui a tendu l’oreille pendant les hospitalisations de sa conjointe. Et c’est ce qu’il a trouvé le plus dur.
« Quand mon fils est venu au monde, ça a pris 4 jours avant qu’on me demande comment j’allais. Je me sentais comme un visiteur et non comme le père du bébé. Je vivais du stress, je voulais savoir ce qui se passait, mais je recevais des nouvelles par la bande, je n’étais pas nécessairement considéré. »
Heureusement, après un long parcours qui dure quelques mois, le calme remplace la tempête. Et c’est un peu pour redonner au suivant que Jean-Philippe Mercier choisit de rejoindre l’équipe de Préma-Québec en 2022. Sa mission ? Donner de l’espoir aux pères et s’assurer de répondre à leurs besoins.
Selon lui, la première étape – et la plus importante – est de trouver le meilleur moyen de rejoindre les pères.
« J’essaie d’adapter mon approche, explique Jean-Philippe Mercier. Souvent, les pères répondent mieux de manière informelle. Ils ne veulent pas nécessairement venir s’asseoir dans mon bureau pendant une heure. Je leur propose de leur téléphoner sur leur heure de dîner, ou alors pendant qu’ils conduisent ou que toute la famille dort. J’adapte mon horaire au leur. »
Alice Lemieux, directrice aux communications et aux affaires publiques chez Préma-Québec, ajoute que les pères sont un public difficile à atteindre.
« Chez Préma-Québec, on essaie constamment de faire mieux pour les rejoindre. Par exemple, nous avons enregistré un outil audio qu’ils peuvent écouter dans la voiture. Ils n’ont pas toujours le temps ni l’envie de lire la documentation imprimée. On teste différentes approches. »
Jean-Philippe Mercier tente également de diversifier les manières d’accompagner les pères, en fonction de leurs besoins.
« Amener les pères à accepter notre aide est un grand défi. J’ai la chance de comprendre ce qu’ils vivent, parce que j’étais à leur place il y a quelques années. Ça facilite le contact. D’une part, ils ont besoin d’être écoutés et, de l’autre, ils ont besoin d’être guidés, de recevoir des conseils pratiques pour gérer le quotidien. »
Ainsi, en plus de les accompagner pendant l’hospitalisation à l’unité néonatale, il assure un suivi lors de leur retour à la maison. Il offre également du soutien conjugal aux parents qui en ressentent le besoin.
Afin de mettre en lumière ces besoins spécifiques aux pères et de favoriser la mise en place de services adaptés, il a mis sur pied une initiative qu’il qualifie de « communauté de pratique ».
« Plusieurs fois par année, j’organise des rencontres avec des travailleurs sociaux qui travaillent dans les différentes unités néonatales au Québec. Ces discussions nous permettent d’échanger sur les bons coups et les défis rencontrés. On discute des difficultés qui sont propres aux parents d’enfants prématurés et des meilleures manières de les soutenir. »
Une réalité méconnue
Pour Alice Lemieux, la prématurité est un enjeu encore – trop – méconnu du grand public.
« Pour beaucoup de gens, prématurité rime avec séquelles importantes, note-t-elle. Or, avec les avancées dans le domaine médical, on observe une grande amélioration de ce côté. C’est un enjeu de santé publique complexe qui est là pour rester, mais la population générale n’est peut-être pas assez informée sur le sujet. »
Selon Alice Lemieux, parler davantage de la prématurité permettrait non seulement de réduire les inquiétudes des familles et d’alléger le poids qui pèse sur leurs épaules, mais aussi de les sortir de l’ombre.
« La prématurité, c’est une réalité qui n’est pas visible, qui est oubliée, déplore-t-elle. C’est très important d’en parler. »
Au Québec, on dénombre plus de 6 000 bébés prématurés par année, soit environ 8 % des naissances. 6 000 bébés qui naissent avant 37 semaines de grossesse, c’est aussi 6 000 familles qui vivent une réalité complexe qui génère son lot d’anxiété. Des milliers de parents qui se posent des millions de questions.
« La néonatalogie, ou médecine néonatale, c’est une branche de la pédiatrie qui se spécialise sur les enfants prématurés, mais aussi les enfants qui sont nés à terme avec certaines complications, explique Dre St-Hilaire. C’est une branche de la médecine qui est très relationnelle, parce qu’on traite aussi les parents qui vivent des choses difficiles. »
D’un point de vue médical, tout enfant qui naît avant 37 semaines de grossesse est considéré comme un enfant prématuré. Mais un bébé qui naît à 24 semaines ne fait pas face aux mêmes difficultés qu’un bébé qui vient au monde à 34 semaines.
« Chaque tranche de prématurité est associée à des complications qui lui sont propres, poursuit Dre St-Hilaire. Plus un enfant naît tôt et a un petit poids, plus il sera à risque de développer des séquelles. »
Toutefois, ce ne sont pas tous les enfants prématurés qui auront des séquelles. Beaucoup d’entre eux se développent sans complications, notamment lorsque l’environnement dans lequel ils grandissent est favorable.

Par Mélissa Khadra
Titulaire d’un doctorat en sciences biologiques, Mélissa Khadra œuvre dans le milieu du journalisme et de la vulgarisation scientifique depuis près de 3 ans. Avant de rejoindre l’équipe de l’Observatoire des tout-petits à titre de rédactrice scientifique, elle a collaboré avec plusieurs médias, dont La Presse, Québec Science et La Conversation Canada. Armée de son bagage de connaissances en sciences et de son amour des mots, elle s’amuse à décortiquer les sujets les plus complexes.
Pour aller plus loin
Visiter le site Web de l’organisme Préma-Québec
Lire notre article Tendre l’oreille aux pères qui ont un enfant gravement malade
Découvrir notre dossier Web Comment favoriser l’engagement des pères par nos politiques publiques?