L’émergence d’un nouveau modèle de pères
Selon de récents sondages, un nouveau modèle de pères est en train d’émerger au Québec. Cette constatation, présentée dans le cadre de l’édition 2022 de la Su-Père Conférence, organisée par le Regroupement pour la valorisation de la paternité, est importante pour réfléchir à la manière d’intervenir auprès des pères et de mettre à jour les politiques publiques.
Dans le cadre de cette conférence animée par Jacques Roy, sociologue au Pôle d’expertise et de recherche en santé et bien-être des hommes et par Raymond Villeneuve, directeur général du Regroupement pour la Valorisation de la Paternité, les résultats de quatre sondages ont été analysés pour en dégager une synthèse.
Les sondages en question ont rejoint un total de 4 663 pères québécois. L’un portait sur la paternité dans un contexte de pandémie. Le deuxième abordait la coparentalité chez les pères et les mères d’enfants de moins de 5 ans. Le troisième faisait le portrait des réalités et des défis vécus par les pères québécois et ceux résidant dans les autres provinces canadiennes. Enfin, le dernier évaluait la perception des pères au sujet de la paternité.
La masculinité traditionnelle en recul
Selon Jacques Roy, les pères québécois semblent relever de moins en moins d’un modèle traditionnel. « Pour 48 % d’entre eux, être père c’est être un modèle avant tout », souligne-t-il. Par exemple, ils sont maintenant peu à voir le rôle de père comme un rôle de pourvoyeur.
« De plus, près de 9 pères sur 10 trouvent qu’il est important qu’un père démontre de l’affection à son enfant. Cela fait partie des nouvelles figures de la paternité moderne », remarque Jacques Roy. Une majorité de pères rapportent également que leur implication est valorisée par la mère et par les membres de leur entourage.
« Plus on progresse dans le temps, plus l’idée de faire équipe avec l’autre parent est importante. Que ce soit pour les tâches ménagères ou les soins aux enfants, les pères ont le goût de faire équipe de plus en plus avec l’autre parent. Ils sont généralement satisfaits de cette collaboration. »
Comme la société évolue et progresse, il y a un défi d’actualiser le discours de valorisation de l’engagement paternel, croit Raymond Villeneuve. « Ce qu’on disait dans les années 1990-2000 n’est peut-être plus à jour, souligne-t-il. Il y a maintenant plusieurs couples qui sont beaucoup plus égalitaires et ils ne sont pas rendus à la même place que ceux qui ont des modèles plus traditionnels. Il faut s’assurer d’être toujours pertinent socialement. »
Selon Raymond Villeneuve, la coparentalité est donc le plus grand levier de transformation sociale qui puisse exister. « Cette idée de coparentalité est de plus en plus présente, insiste-t-il. Il y a vraiment une tendance lourde et il faut s’ajuster aux parents d’aujourd’hui parce que la société change vite. »
La société québécoise plus progressiste?
Selon certains sondages, cette évolution se ferait dans une société plus progressiste et égalitaire que les autres sociétés canadiennes. « Les pères québécois ont un modèle un peu moins traditionnel et un peu plus progressiste qu’ailleurs au Canada », confirme Jacques Roy.
« Cela dit, les pères du reste du Canada montrent aussi un recul de la masculinité traditionnelle, remarque le sociologue. Partout au pays, les pères disent qu’ils aimeraient avoir un congé parental pour s’occuper de leurs enfants. Il y a 30 à 50 ans, on n’était pas là du tout comme société. »
Une pandémie qui accentue les facteurs de vulnérabilité
Cependant, les sondages révèlent aussi que la pandémie a frappé plus durement les pères québécois que ceux du reste du Canada.
« La pandémie a frappé tout le monde, mais elle a eu un impact relativement important du côté des pères, note Jacques Roy. Selon un sondage, presque la moitié des pères ont trouvé l’adaptation difficile. Près du tiers d’entre eux ont également rapporté vivre plus de tensions et de conflits dans leur couple depuis le début de la pandémie, comparativement à 22 % pour l’ensemble des hommes. »
Selon le sociologue, le fait d’avoir des enfants, surtout des plus jeunes, crée une pression. « Certaines catégories spécifiques de pères ont connu plus de difficultés, ajoute-t-il. Par exemple, les pères qui avaient un indice de détresse psychologique plus élevé que la moyenne avaient aussi davantage des problèmes de vulnérabilité, notamment les jeunes pères. »
Selon Raymond Villeneuve, ces résultats nous rappellent que les pères les plus défavorisés sont plus touchés par les crises individuelles et collectives. « Si les conditions socio-économiques font qu’un individu est plus vulnérable, la crise va frapper plus fort, explique-t-il. Comme société, nous devons donc porter une attention particulière à ces pères. »
Les pères défavorisés moins bien desservis
Malheureusement, les services sociaux et de santé rejoignent moins les pères vulnérables, déplore Raymond Villeneuve. « C’est tout un paradoxe, souligne-t-il. Les pères qui ont le plus de besoins sont ceux que l’on rejoint le moins. »
En effet, selon les sondages, 30 % des pères ne sauraient pas où s’adresser en cas de problèmes personnels, familiaux ou de santé. « Si on prend les pères qui ont un indice de détresse psychologique élevé, seulement le quart sont allés consulter en période de pandémie, ajoute Jacques Roy. Les trois quarts sont restés chez eux avec leurs problèmes. »
Pourquoi les hommes défavorisés utilisent-ils peu les services? Selon le sociologue, il s’agirait principalement d’une question de culture. « Les gens qui font partie des groupes plus défavorisés sur le plan socio-économique sont souvent méfiants à l’égard des professionnels de la santé, explique-t-il. De plus, sur le plan de leur propre système de valeurs, ils ont l’impression de ne pas avoir beaucoup de contrôle sur leur santé. »
Ce qui amène Raymond Villeneuve à conclure avec une citation du rapport de la commission Laurent. « Les parents, tant les mères que les pères, ont besoin d’un soutien adapté à leur réalité », rappelle-t-il.
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