Bibliothèques publiques: un accès parfois complexe pour les familles
Selon l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle1, près du tiers (28,7 %) des enfants à la maternelle seraient considérés comme vulnérables dans au moins un domaine de leur développement2. Chez les familles habitant dans un milieu très défavorisé, cette proportion s’élève à 34,7 % des enfants.
Dans un récent mémoire sur la réussite éducative3, l’Association des bibliothèques publiques du Québec souligne d’ailleurs que la fréquentation des bibliothèques apporte de nombreux bienfaits aux tout-petits qui les fréquentent. Entre autres, la fréquentation d’une bibliothèque diminue les échecs en lecture et facilite la réussite scolaire en général4.
Des barrières d’accès pour plusieurs familles
Cependant, les familles en situation de vulnérabilité sont moins nombreuses à fréquenter les bibliothèques publiques. En effet, 39 % des parents moins scolarisés interrogés visitent une bibliothèque publique avec leur enfant au moins 2 fois par mois, alors que la proportion est de 53 % chez les parents plus scolarisés4.
Selon Julie Myre Bisaillon, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, diverses barrières d’accès ont comme effet de diminuer ou de complexifier l’accès aux bibliothèques du Québec4. Par exemple :
- l’éloignement géographique ;
- les contraintes d’horaires et de transport ;
- les coûts (transport, frais de retard, perte ou bris de livre, etc.) ;
- la crainte que les enfants soient bruyants ou dérangeants.
Ces barrières ont pour résultat que les familles en situation de vulnérabilité sont également moins nombreuses à participer aux activités des bibliothèques publiques, notamment en raison d’enjeux logistiques, d’organisation et de transport, ainsi qu’en raison des coûts engendrés, comme les frais pour prendre l’autobus.
De plus, le lien de confiance entre certaines familles en situation de vulnérabilité et les institutions publiques est parfois très fragile. Par exemple, les livres et la lecture en général peuvent être perçus comme étant réservés à des personnes plus scolarisées. Selon plusieurs intervenants travaillant auprès de familles en situation de vulnérabilité4, les populations moins scolarisées s’y sentent parfois jugées ou observées. Elles peuvent aussi éprouver de la honte, de la gêne ou encore se sentir critiquées dans leurs compétences parentales par le personnel ou par les usagers des bibliothèques.
La précarité, une barrière importante
Selon Mme Myre Bisaillon, au-delà des barrières d’accès, les familles en situation de vulnérabilité doivent parfois privilégier la réponse à leurs besoins de base, en particulier durant cette période d’inflation et de pénurie des logements.
Dans un tel contexte de précarité, il n’est pas étonnant que se déplacer pour assister à une activité comme l’heure du conte ou se rendre à la bibliothèque en famille ne soit pas jugé prioritaire.
Des stratégies innovantes sont donc nécessaires afin de mieux rejoindre les familles en situation de vulnérabilité, plutôt que de tenter de les attirer à fréquenter la bibliothèque publique. Par exemple, les initiatives de bibliothèques mobiles, les heures du conte dans les parcs et les animations mises sur pied avec les organismes de proximité sont particulièrement utiles. Cela permet également de bâtir des relations de confiance à plus long terme.
L’effet de l’abolition des frais de retard : l’exemple de la bibliothèque Alice-Lane
Les bibliothèques publiques du Québec sont de plus en plus nombreuses à reconnaître que les frais de retard constituent une barrière d’accès importante pour plusieurs familles. À ce jour, 60 % d’entre elles les ont abolis complètement ou partiellement5, dans le cadre du mouvement international Fine Free Librairies. La bibliothèque Alice-Lane fut la pionnière au Québec.
Située à Baie-Comeau sur la Côte-Nord, la bibliothèque a officiellement aboli ses frais de retard en 2020, à la suite d’un projet pilote. Elle a d’ailleurs gagné un prix pour cette initiative. Ziba Mirzapour, responsable de la culture et de la bibliothèque à la Ville de Baie-Comeau, mentionne que l’objectif souhaité était de faciliter l’accès aux services de la bibliothèque et d’encourager une culture de la lecture pour les enfants.
Les frais de retard causent une baisse de fréquentation des bibliothèques puisque l’abonné n’y retourne pas toujours lorsqu’il y a des frais de retard à payer. La gestion des frais de retard occasionne par ailleurs divers coûts : ressources humaines et administratives pour faire les suivis, rédaction des rappels, papier pour l’impression de lettres, etc. Dans ce contexte, Mme Mirzapour mentionne que les bibliothèques perdent souvent à la fois le livre, l’abonné et leurs ressources.
Abolir les frais de retard a mené à l’augmentation du nombre de livres retournés à la bibliothèque. En effet, même si un livre est en retard, il n’y a plus lieu de craindre de payer des frais en le retournant à la bibliothèque. Il est donc retourné, bien qu’un peu plus tard que prévu, et l’abonné demeure à l’aise d’emprunter d’autres livres et de rester un membre actif de sa bibliothèque.
Mme Mizapour ajoute que ce projet a bénéficié du soutien de la Ville de Baie-Comeau, qui a une mission d’amélioration de la qualité de vie de ses citoyens et accorde de l’importance aux politiques familiales.
Sources et notes
(1)Institut de la statistique du Québec, Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle (EQDEM), 2022.
(2) Ces domaines de développement incluent la santé physique et le bien-être, les compétences sociales, la maturité affective, le développement cognitif et langagier, les habiletés de communication ainsi que les connaissances générales.
(3)Association des bibliothèques publiques du Québec, La réussite éducative : au centre de la mission des bibliothèques publiques québécoises, 2021.
(4) Julie Myre-Bisaillon et autres, « Stimuler l’éveil à la lecture et à l’écriture des enfants d’âge préscolaire : rôle des bibliothèques publiques dans les communautés défavorisées », McGill Journal of Education, vol. 49, no 2, 2014.
(5)Association des bibliothèques publiques du Québec, « Pourquoi des bibliothèques sans frais de retard » (Consulté le 26 septembre 2023)
Pour en savoir plus
Consulter le portrait des politiques publiques 2021 de l’Observatoire des tout-petits Que faisons-nous au Québec pour nos tout-petits et leur famille?
Consulter le rapport de l’Observatoire des tout-petits Comment favoriser le développement des tout-petits avant leur entrée à l’école ?