Ce n’est pas toujours facile pour les bibliothèques de joindre les tout-petits et leurs parents qui, pour différentes raisons, peuvent difficilement fréquenter leur bibliothèque. Celles-ci doivent alors user d’imagination et, surtout, créer des partenariats avec les acteurs de leur milieu afin d’aller à la rencontre de familles qui n’y ont jamais mis les pieds.

C’est ce qu’a fait l’organisme en alphabétisation L’ABC des Hauts Plateaux, en Chaudière-Appalaches. Constatant que peu d’enfants fréquentaient les bibliothèques municipales de la région, l’organisme a mis sur pied en 2008 un projet de bibliothèque à domicile, la Bibliomobile.

Depuis, les intervenantes qui participent au projet vont toutes les deux semaines dans des villages éloignés visiter des familles ayant des enfants de 0 à 5 ans. Elles font aussi un arrêt mensuel dans les services de garde en milieu familial ainsi que dans les haltes-garderies communautaires. « L’idée est d’amener les livres directement dans les maisons », résume Mélanie Desrosiers, co-coordonnatrice, formatrice et intervenante jeunesse à L’ABC des Hauts Plateaux.

Aller à la rencontre des familles là où elles sont

Il faut dire que les parents de tout-petits qui reconnaissent déjà l’importance de l’éveil à la lecture et à l’écriture fréquentent d’emblée leur bibliothèque municipale. Or, beaucoup de parents n’y sont jamais allés, et ce, pour différentes raisons :

• heures d’ouverture qui ne correspondent pas aux horaires des parents ou emplacement de la bibliothèque difficilement accessible ;
• méconnaissance des lieux ou de l’offre de services ;
• peur de l’inconnu ;
• sentiments de honte ou de gêne devant le personnel et les autres usagers et usagères de la bibliothèque ;
• peur de sentir leurs compétences parentales jugées ou critiquées par le personnel de la bibliothèque ;
• barrière de la langue.

Pour entrer en contact avec les parents qui ne fréquentent pas les bibliothèques – qui sont souvent parmi ceux qui ont le plus besoin de leurs services –, les bibliothèques doivent aller à leur rencontre directement dans leur milieu, selon les études. Jessica Lesage, orthophoniste et professeure clinicienne au Département d’orthophonie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), note d’ailleurs que cette pratique permet aux bibliothèques « d’entrer en contact avec les familles qui ont plus de difficultés à se mobiliser ou à se rendre sur place ».

La bibliothèque éphémère de la Bibliothèque de Québec

Depuis 2021, la Bibliothèque de Québec coordonne un projet de bibliothèque éphémère dans un milieu défavorisé de la ville. Grâce à la collaboration de divers acteurs du milieu, un conteneur coloré a été aménagé pour offrir des activités et des livres aux enfants de 0 à 12 ans du printemps jusqu’à l’automne.

Miser sur la concertation

Afin de joindre les jeunes familles, les bibliothèques ont donc tout intérêt à développer des partenariats avec les organisations de leur secteur qui œuvrent auprès des familles. Par exemple :

• les milieux de garde (CPE, garderies en milieu familial, garderies privées) ;
• les centres de pédiatrie sociale en communauté ;
• les organismes communautaires Famille ;
• les maisons des grands-parents ;
• les regroupements pour nouveaux arrivants ;
• les CISSS ou CIUSSS.

« [En développant des partenariats], les bibliothèques peuvent ainsi mieux comprendre la population de leur secteur, connaître les obstacles qui font que les familles ne les fréquentent pas et trouver des solutions afin de mieux répondre à leurs besoins et intérêts » - Jessica Lesage, orthophoniste et professeure clinicienne au Département d’orthophonie de l’UQTR

La concertation avec les organismes qui œuvrent auprès des familles offre de nombreux avantages pour les bibliothèques. En plus de leur permettre de rejoindre les familles, elle permet de :

• participer aux activités parent-enfant des organismes communautaires de leur secteur en apportant une variété de livres dans le but d’entrer en contact avec les parents, faire connaître leur offre de services et répondre aux questions sur leur fonctionnement ;
• élaborer une programmation complémentaire à celle des organismes et ainsi éviter de proposer le même type d’activité (bricolage thématique, activités d’éveil musical ou yoga parent-enfant par exemple) ou de tenir une activité dans la même plage horaire ;
• lancer des invitations aux familles à participer à leurs activités par le biais des organismes partenaires ;
• diriger à leur tour les familles vers les organismes en fonction de leurs besoins (p. ex. : répit pour parents, ressources professionnelles).

Dans les MRC de Montmagny et de L’Islet, certaines bibliothèques municipales fournissent des livres que les familles peuvent emprunter auprès de la Bibliomobile.

« Ça leur a permis d’augmenter leur nombre de prêts de livres et d’abonnements. Puis, tranquillement, on a amené des familles dans les bibliothèques en y organisant des activités mensuelles. Certaines ont même développé l’habitude de les fréquenter. » – Mélanie Desrosiers, co-coordonnatrice, formatrice et intervenante jeunesse à L’ABC des Hauts Plateaux

Comment créer des partenariats avec la communauté ?

Dans certaines régions, on trouve un comité d’éveil à la lecture et à l’écriture ou une table de concertation 0-5 ans dans lesquels les bibliothèques peuvent s’impliquer afin de créer des partenariats avec les organismes qui œuvrent auprès des familles avec des enfants d’âge préscolaire. Si aucun comité n’est en place, Jessica Lesage propose alors aux bibliothèques d’organiser des rencontres avec ces organismes afin d’apprendre à les connaître et ultimement de développer de nouveaux projets en concertation qui vont favoriser l’éveil à la lecture et à l’écriture chez les enfants.

 

Un partenariat gagnant dans le Témiscouata

Depuis plus d’une dizaine d’années, quatre bibliothèques de la MRC du Témiscouata font partie d’un comité d’éveil à la lecture et à l’écriture qui regroupe aussi la Maison de la Famille du Témiscouata ainsi que des représentants des municipalités. Grâce à cette concertation, les bibliothèques proposent un plus grand nombre d’activités qui touchent davantage de familles. Lors des activités, des livres sont souvent donnés et des prix de présence sont tirés grâce à du financement octroyé par la MRC et des entreprises de la région.

Gagner le cœur des parents

Les bibliothèques qui veulent attirer les tout-petits entre leurs murs doivent d’abord gagner le cœur de leurs parents, pense Jessica Lesage. « L’habitude de fréquenter la bibliothèque passe par eux ; c’est eux qui vont y amener leur enfant ou non », dit-elle.

Mélanie Desrosiers est totalement d’accord. « La Bibliomobile n’est pas seulement un service de prêt de livres à domicile. L’objectif est de sensibiliser et d’accompagner les parents dans leurs interactions avec leur enfant autour du livre et de la lecture », conclut-elle.

Sources

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION (2003). Le plaisir de lire et d’écrire, ça commence bien avant l’école.

JULIE MYRE-BISAILLON ET AUTRES. (2014). Stimuler l’éveil à la lecture et à l’écriture des enfants d’âge préscolaire : rôle des bibliothèques publiques dans les communautés défavorisées.

OBSERVATOIRE DES TOUT-PETITS (2021). Comment favoriser le développement des tout-petits avant leur entrée à l’école ? L’importance de la qualité, de la stabilité et de la continuité des environnements