Comment les centres de la petite enfance sont-ils répartis sur le territoire québécois ?
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L’Observatoire québécois des inégalités a publié en août 2024 la nouvelle édition de son Bulletin de l’égalité des chances en éducation. Cette édition du Bulletin présente notamment des données inédites sur la répartition des centres de la petite enfance (CPE) sur le territoire québécois en fonction de certains aspects socioéconomiques. Discussion avec Maude Roy-Vallières et François Fournier, respectivement co-auteure et coordonnateur du Bulletin.
L’objectif du Bulletin de l’égalité des chances en éducation est de documenter les inégalités qui existent dans le système éducatif, explique François Fournier, chercheur à l’Observatoire québécois des inégalités et coordonnateur de la publication. « Les services éducatifs à l’enfance, qui regroupent les services de garde éducatifs et l’éducation préscolaire, soit les maternelles 4 ans et 5 ans, constituent le premier maillon du parcours éducatif. Il est donc essentiel de s’y intéresser si l’on veut comprendre ce qui influence la réussite scolaire », souligne-t-il.
L’équipe du Bulletin a choisi de s’intéresser aux CPE puisqu’il s’agit du service éducatif à l’enfance qui offre généralement le meilleur niveau de qualité éducative1, en plus de constituer le premier choix pour 74 % des parents selon l’Enquête québécoise sur l’accessibilité et l’utilisation des services de garde de 20212. L’équipe a croisé le nombre de CPE en activité en 2023 avec l’indice de défavorisation matérielle et sociale.
L’indice de défavorisation matérielle et sociale vise à mesurer le niveau de défavorisation de la population québécoise à l'échelle des aires de diffusion – de petites unités géographiques regroupant de 400 à 700 personnes – et en fonction de deux aspects :
- La dimension matérielle, qui mesure le niveau d’éducation, l’emploi et le revenu des personnes.
- La dimension sociale, qui s’intéresse au statut familial et au fait de vivre seul ou à plusieurs.
Chacune des unités géographiques est classée selon une échelle qui comporte 5 niveaux, allant du moins défavorisé (niveau 1) au plus défavorisé (niveau 5).
Par exemple, un quartier où le niveau d’éducation et de revenu des personnes est très élevé correspondra au niveau 1 en termes de défavorisation matérielle. À l’opposé, un quartier où un très grand nombre de personnes vivent seules et où un grand nombre de familles monoparentales habitent correspondra, quant-à-lui, au niveau 5 en termes de défavorisation sociale.
Défavorisation matérielle : Une répartition égale des CPE entre les milieux favorisés et défavorisés
Le Bulletin permet de constater que le nombre total de CPE se répartit de façon relativement égale à l’échelle de la province selon les niveaux de défavorisation matérielle. Autrement dit, il y a à peu près autant de CPE dans les milieux défavorisés sur le plan matériel que dans ceux qui sont favorisés.
Selon la professeure invitée en éducation préscolaire et en développement de l'enfant à l'Université du Québec à Chicoutimi Maude Roy-Vallières, cette situation est surprenante, car l’un des objectifs de la création des CPE était de contribuer au développement et à l’égalité des chances des enfants, en particulier chez ceux vivant dans des milieux défavorisés. Dans ce contexte, il aurait été possible de s’attendre à une plus forte concentration de CPE dans les milieux défavorisés. « L’objectif semble plus ou moins atteint », constate Mme Roy-Vallières.
En effet, les familles favorisées sont davantage outillées pour naviguer dans le système, par exemple en mobilisant leur réseau de contact ou en naviguant plus aisément dans les processus administratifs, et parviennent plus facilement à obtenir une place en CPE. Dans son rapport sur l’accessibilité aux services de garde éducatifs à l’enfance, publié en 2020, le Vérificateur général du Québec notait d’ailleurs une sous-représentation des enfants issus d’un milieu défavorisé dans les CPE3. À Montréal et à Laval, par exemple, les enfants dont les parents avaient un revenu familial annuel inférieur ou égal à 25 000 $ étaient moins présents dans les CPE (17 % pour Laval et 29 % pour Montréal) que les enfants dont les parents avaient un revenu familial de 200 000 $ ou plus (34 % pour Laval et 48 % pour Montréal).
Défavorisation sociale : Une répartition plus importante dans les milieux défavorisés
La situation diffère toutefois lorsqu’on s’intéresse à la défavorisation sociale. Le nombre de CPE est plus important dans les milieux plus défavorisés sur le plan social, avantageant ainsi les familles dont les réseaux sociaux sont les plus fragiles, comme les familles monoparentales.
D’importantes disparités régionales dans la répartition des CPE en milieu défavorisé
Une analyse à l’échelle régionale révèle d’importantes disparités qui ne sont pas perceptibles à l’échelle de la province. Si la proportion de CPE se répartit de façon relativement égale entre les différents niveaux de défavorisation matérielle à l’échelle de la province, le portrait varie d’une région à l’autre.
Pour parvenir à ce constat, l’équipe du Bulletin a calculé le pourcentage de CPE situés dans les milieux les plus défavorisés (niveau 5) pour chacune des régions du Québec. Cette analyse révèle que ce sont les régions du Nord-du-Québec et de la Gaspésie qui ont les plus hauts pourcentages de CPE dans les milieux où la défavorisation matérielle atteint le niveau 5.
« Les familles les plus défavorisées sur le plan matériel qui souhaitent profiter des services d’un CPE ont donc davantage de possibilités d’y parvenir dans les régions du Nord-du-Québec et de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, alors que ce sont dans les régions de la Capitale-Nationale et de la Montérégie qu’il est plus difficile pour elles de le faire », explique Maude Roy-Vallières.
Des enjeux d’équité au niveau de la répartition des CPE ont aussi été observés à Montréal. En effet, dans un rapport publié à l’automne 2024, la Directrice de la santé publique de Montréal révélait qu’il existait d’importantes iniquités dans la distribution des places en CPE sur le territoire montréalais : en 2023, le nombre de places en CPE par 100 enfants était nettement plus élevé dans les quartiers favorisés sur le plan matériel que dans les quartiers défavorisés4.
Favoriser un accès accru dans les milieux défavorisés
L’équipe du Bulletin formule quelques perspectives pour favoriser l’inclusion, l’équité et l’égalité en éducation. Elle propose notamment un renforcement des initiatives visant à étendre les services éducatifs à la petite enfance et préscolaires pour favoriser un accès accru dans les milieux défavorisés. « Cela pourrait inclure l’ouverture de davantage de centres de qualité dans les milieux défavorisés », illustre François Fournier. « Nous espérons que le Bulletin suscitera des débats constructifs sur les moyens de réduire les inégalités en éducation », conclut-il.
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Par Geoffroy Boucher
Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Depuis peu, il a rejoint l’Observatoire québécois des inégalités et agit également comme consultant en politiques publiques.
Notes de fin
1. Vérificateur général du Québec (2024). « Chapitre 4 - Qualité des services de garde éducatifs à l’enfance » dans Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2023-2024.
2. Institut de la statistique du Québec (2022). Enquête québécoise sur l’accessibilité et l’utilisation des services de garde 2021 - Portrait statistique.
3. Vérificateur général du Québec (2020). « Chapitre 2 – Accessibilité des services de garde éducatifs à l’enfance » dans Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2020-2021.
4. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud de-l’Île de-Montréal (2024). Rapport de la directrice de santé publique : La Santé et le développement des enfants montréalais - Citoyens du monde d’aujourd’hui et de demain.
Pour aller plus loin
Consulter le Bulletin de l’égalité des chances en éducation de l’Observatoire québécois des inégalités.
Consulter notre portrait Dans quels environnements grandissent les tout-petits au Québec?
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