Observatoire des tout-petits

Chroniques
9 décembre 2024

Tendre l’oreille aux pères qui ont un enfant gravement malade

Tendre l’oreille aux pères qui ont un enfant gravement malade  
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Photo de Mélissa Khadra
Mélissa Khadra
Rédactrice scientifique

Vivre avec un enfant qui est malade et qui se trouve en situation de handicap peut présenter son lot de défis. Une récente étude met en lumière qu’au-delà de la détresse, les pères chérissent l’influence positive et transformatrice de leur expérience. Et que bien que certaines ressources existent, des actions doivent être mises en place pour les rendre accessibles aux familles et pour adapter les interventions à la réalité des pères.

Vulnérables, mais optimistes. Voici comment Josée Chénard, chercheure en travail social à l’Université du Québec en Outaouais, décrit les pères qui ont un enfant atteint d’une condition médicale complexe (CMC). 

« Ce sont des enfants dont plusieurs organes du corps sont touchés par la maladie, explique Josée Chénard. Ils peuvent avoir des atteintes neurologiques, gastrointestinales, cardiaques, souvent accompagnées d’incapacités physiques et intellectuelles. » 

Dans le cadre d’un projet de recherche mené avec deux de ses collègues et récemment publié dans la revue scientifique Travail social, la chercheure s’est intéressée à l’expérience des pères d’un enfant qui présente une CMC.  

Des répercussions réelles 

Pourquoi les pères ? Parce qu’alors que le point de vue des mères est assez bien documenté, il est plus difficile de les rejoindre.  

« Lorsque je travaillais comme travailleuse sociale au CHU Sainte-Justine, je ne voyais pas beaucoup les papas, se remémore-t-elle. Je pouvais les voir pendant la phase aiguë de l’hospitalisation, puis rapidement je ne les voyais plus. Mais j’étais convaincue qu’ils vivaient des choses aussi difficiles que les mamans. » 

Et son intuition s’est avérée juste. 

L’étude de Josée Chénard met en lumière plusieurs répercussions que peuvent avoir la maladie et les incapacités de l’enfant sur la vie des pères. Parmi ces incidences, la chercheure note une grande vulnérabilité psychosociale. 

« Ce sont des familles qui sont très isolées, précise-t-elle. À la naissance ou au début de la maladie, elles ont normalement un bon réseau. Mais au fur et à mesure que l’enfant grandit, on remarque que le réseau social des parents s’effrite. » 

Cet effritement s’accompagne souvent d’un sentiment de solitude et d’emprisonnement chez les pères, qui découle de l’absence d’activités familiales et sociales. Un constat qui inquiète Josée Chénard.  

« Plusieurs pères qui ont participé à l’étude n’ont pas tendance à lever la main quand ça ne va pas, déplore-t-elle. Pour moi, c’est très préoccupant que leur vulnérabilité se manifeste tandis qu’ils ne demandent que peu ou pas d’aide, et qu’ils ont de la difficulté à identifier leurs besoins. » 

Selon la chercheure, plusieurs facteurs peuvent contribuer à expliquer ce phénomène social. 

« Dans certains cas, les papas ne s’expriment pas, parce que si on n’en parle pas, ça n’existe pas, explique la chercheure. D’autres pères ne veulent pas montrer leur vulnérabilité, ils veulent rester forts et montrer que tout va bien. » 

En plus de la vulnérabilité psychosociale vécue par les pères qui ont un enfant avec une CMC, l’étude soulève des répercussions sur leur santé physique et mentale, sur leur vie professionnelle et sur la fratrie.  

Certains pères rencontrés par Josée Chénard expriment également des conséquences sur leur couple, qui se traduisent notamment par des enjeux de communication. 

Une expérience transformatrice 

Mais bien que le quotidien de ces pères soit parfois extrêmement difficile et éprouvant, leur expérience n’est pas que souffrance. Certains d’entre eux en retirent même du positif. 

« Quand les papas nous parlent de leur enfant, ils n’abordent pas seulement les côtés sombres, note Josée Chénard. Ils nous parlent des sourires que leur enfant peut faire, de ses compétences, de ses habiletés. Ils sont capables de voir du beau, et ça, c’est très riche. » 

Certains pères ont confié à la chercheure à quel point cette expérience les a fait grandir et leur a permis d’apprendre. Ils expriment avoir développé une meilleure tolérance à la différence et se disent plus sensibles et plus empathiques. D’autres pères appréhendent la vie de manière plus optimiste et ont amélioré leur résilience.  

« Une chose que j’aimerais que les gens retiennent de cette étude, c’est que oui, ces pères vivent de la souffrance et de la détresse, mais il n’y a pas juste ça », insiste Josée Chénard. 

Des ressources, mais encore du travail à faire 

Il existe certaines ressources qui visent à soutenir la qualité de vie des enfants et des familles. Mais selon la chercheure, elles ne sont pas nécessairement à la hauteur de leurs besoins réels. 

« On a décidé collectivement qu’on investissait pour sauver la vie de ces enfants gravement malades en développant des nouvelles technologies, de nouveaux médicaments, explique-t-elle. Mais quand les familles arrivent à la maison, c’est là que le défi commence, parce que les services sociaux sont un peu le parent pauvre du réseau de la santé. » 

Josée Chénard mentionne notamment la nécessité de bonifier l’offre, en raison de la disparité de la disponibilité des ressources d’une région à l’autre et des listes d’attente. Mais au-delà de ces barrières d’accessibilité, elle soulève que les ressources disponibles ne sont pas nécessairement adaptées à la réalité des pères. 

« On a beaucoup de travail à faire pour mieux rejoindre les papas, note-t-elle. Alors que la mère va avoir besoin de parler de ce qu’elle vit, de ses émotions, le père va plutôt se concentrer sur la recherche de solutions. On ne peut pas les approcher de la même manière. » 

C’est dans cette optique que la prochaine étape du projet de recherche sera consacrée à trouver des moyens pour bien outiller les intervenantes et les intervenants afin qu’ils puissent accompagner adéquatement tous les parents. 

« Afin de bien répondre aux besoins des parents et particulièrement des papas, il faut d’abord les identifier et les comprendre, précise Josée Chénard. Une fois que nous aurons bien compris leur expérience, nous pourrons documenter les pratiques d’accompagnement pour éventuellement développer des pistes d’action et des pistes d’intervention concrètes. » 

Selon elle, un père silencieux n’est pas nécessairement un père moins investi.  

« Notre étude révèle que même si on les voit moins aux rendez-vous médicaux, ce sont des papas très engagés auprès de leur famille. Nous avons une responsabilité collective, à travers nos interventions, d’aller les chercher et de les rendre davantage présents. » 

Photo de Mélissa Khadra

Par Mélissa Khadra

Titulaire d’un doctorat en sciences biologiques, Mélissa Khadra œuvre dans le milieu du journalisme et de la vulgarisation scientifique depuis près de 3 ans. Avant de rejoindre l’équipe de l’Observatoire des tout-petits à titre de rédactrice scientifique, elle a collaboré avec plusieurs médias, dont La Presse, Québec Science et La Conversation Canada. Armée de son bagage de connaissances en sciences et de son amour des mots, elle s’amuse à décortiquer les sujets les plus complexes.

 

Pour aller plus loin 

Consulter l’étude L'expérience de pères d'un enfant présentant une condition médicale complexe : une réalité méconnue, 2024  

Découvrir notre dossier Web Comment favoriser l’engagement des pères par nos politiques publiques? 

Lire notre article L’Étoile de Pacho : venir en aide aux pères d’enfants handicapés 

Lire notre rapport consacré aux tout-petits ayant besoin de soutien particulier 

Consulter l’analyse de l’Institut de la statistique du Québec, L’expérience parentale au Québec en 2022. Une analyse comparative selon le fait d’avoir ou non au moins un enfant avec un problème de santé ou de développement