Observatoire des tout-petits

Chroniques
10 décembre 2024

Régime québécois d’assurance parentale : trois pistes pour le bonifier

Régime québécois d’assurance parentale : trois pistes pour le bonifier 
Partager :
Photo de Geoffroy Boucher
Geoffroy Boucher
Économiste à l'Observatoire québécois des inégalités et consultant en politiques publiques

En 2026, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) fêtera ses 20 ans. Pièce maitresse de la politique familiale du Québec, ce programme permet à plus de 100 000 parents chaque année de consacrer du temps à leur enfant durant ses premiers mois de vie. À l’approche de cet anniversaire, on discute de pistes de bonification du régime avec trois chercheuses.    

Mis en place en 2006 après plusieurs années de négociation avec le gouvernement fédéral, le RQAP permet aux parents admissibles du Québec de toucher un revenu pendant leur retrait du marché du travail suivant la naissance ou l’adoption d’un enfant. Plus accessible et généreux que ne l’étaient les prestations de maternité et les prestations parentales du Programme fédéral d’assurance-emploi, qu’il a remplacées, le RQAP a permis d’accroître la proportion de parents prenant un congé parental1 

Des améliorations ont été apportées au régime à la suite de l’adoption, en octobre 2020, de la Loi visant principalement à améliorer la flexibilité du régime d’assurance parentale afin de favoriser la conciliation famille-travail. Ces améliorations incluent notamment la prolongation de la période pendant laquelle les prestations peuvent être versées, une augmentation des exemptions relatives aux revenus de travail en cours de prestations et l’ajout de semaines de prestations additionnelles lorsqu’un certain nombre de semaines de prestation est partagé entre les parents2 

Nous avons parlé avec les chercheuses Gabrielle Garon-Carrier, Mélanie Julien et Sophie Mathieu d’idées pour poursuivre l’amélioration du régime et le faire évoluer en fonction des besoins des familles. 

Des prestations bonifiées pour les familles à faible revenu : discussion avec Gabrielle Garon-Carrier 

C’est durant la période allant de la naissance au quatrième anniversaire de l’enfant que le revenu des familles varie le plus. Selon l’OCDE, une mesure de remplacement du revenu comme le RQAP est donc essentielle pour assurer une certaine sécurité financière chez les familles pendant le retrait du marché du travail3.  

Le régime de base4 d’assurance parentale accorde : 

  • 18 semaines réservées à la mère, à 70% de son revenu; 
  • 5 semaines réservées au père ou au coparent, à 70% de son revenu; 
  • 32 semaines de congé parental partageables entre les parents, les 7 premières à 70% du revenu de la personne qui les utilise et les 25 suivantes à 55% du revenu; 
  • 4 semaines de congé parental supplémentaires et partageables entre les parents, à 55% du revenu de la personne qui les utilise, si chaque parent utilise au moins 8 semaines du congé parental. 

La diminution des revenus qui suit la naissance d’un enfant peut toutefois placer certaines familles en situation de précarité financière et encourager les parents à retourner sur le marché du travail avant d’avoir écoulé la totalité de leur congé. 

Selon une étude menée par Gabrielle Garon-Carrier, professeure à l’Université de Sherbrooke, le congé parental est particulièrement important pour le développement de l’enfant5. En effet, les enfants dont les mères retournent travailler dans les cinq premiers mois de vie ont un niveau d’anxiété de séparation plus élevé durant la petite enfance que ceux de mères qui ont pris un plus long congé parental. 

« Pour les familles en situation de vulnérabilité, il peut être difficile pour le parent, en particulier pour la mère, de s’absenter du marché du travail pendant plusieurs mois. La précarité financière peut les forcer à écourter leur congé, ce qui pourrait nuire à la qualité des interactions parent-enfant et, ultimement, menacer l’établissement d’un lien d’attachement sécurisant entre le parent et l’enfant. » - Gabrielle Garon-Carrier, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.  

Selon la chercheuse, des mesures financières additionnelles durant le congé parental devraient être mises en place pour les familles à plus faible revenu. Par exemple, la majoration des prestations pour les personnes ayant un revenu inférieur au salaire minimum pourrait être élargie à toutes les personnes ayant un revenu se trouvant sous le seuil de revenu viable, soit le revenu nécessaire pour sortir de la pauvreté6. Cette majoration pourrait aussi être bonifiée afin de garantir des prestations atteignant ce seuil.  

Bonification du congé réservé au père ou au coparent : discussion avec Mélanie Julien 

La mise en place d’un congé spécifiquement destiné aux pères ou aux coparents a eu des répercussions majeures sur la prise du congé parental par les pères au Québec, passant de 56 % en 2006 à plus de 74 % en 20217. À titre comparatif, seul 31,3 % des nouveaux pères ou coparents ont demandé des prestations parentales ou avaient l'intention de le faire dans le reste du Canada en 20228. 

Malgré ces avancées, on constate qu’il reste un écart important entre le nombre de semaines de congé que prennent les mères et les pères. En effet, le nombre moyen de semaines de prestations utilisées par les mères en 2021 étaient de 45,9 contre 9,7 chez les pères9. Or, selon la littérature scientifique, un tel écart peut créer un déséquilibre persistant entre les deux parents pour le partage des responsabilités domestiques et parentales10. 

Selon le Conseil du statut de la femme, l’une des solutions pour favoriser une plus grande implication des pères consiste à augmenter le nombre de semaines de congé qui leur est réservé à l’arrivée d’un enfant11 

« Le congé de paternité envoie un message très clair dans la population, y compris chez les employeurs, qu’on attend des pères qu’ils s’impliquent dans les soins aux enfants et que l’ensemble des responsabilités familiales et domestiques doivent être partagées équitablement entre les deux parents » affirme Mme Mélanie Julien, directrice de la recherche et de l’analyse au Conseil du statut de la femme. 

Cette approche fait d’ailleurs consensus au sein des pays membres de l’OCDE, où la durée du congé réservé au père est en moyenne de 10 semaines. Au Québec, le nombre de semaines réservées au père ou au coparent dans le régime de base est de 5 semaines, alors qu’il atteint, par exemple, 20 semaines en Belgique, 31 en France, et 54 en Corée du Sud.   

Mieux prendre en compte la diversité des réalités vécues par les parents : discussion avec Sophie Mathieu 

La chercheuse et responsable principale des programmes à l’Institut Vanier de la famille, Sophie Mathieu, souligne pour sa part que le RQAP convient principalement aux parents travaillant à temps plein. Certaines catégories de parents, tels que les étudiants, les parents sans emploi ou ceux travaillant à temps partiel reçoivent des prestations beaucoup plus faibles, alors que certains ne sont tout simplement pas admissibles au régime. Selon Mme Mathieu, une meilleure prise en compte de la réalité de ces parents conduirait à un régime plus équitable 

La Présidente-directrice générale du Conseil de gestion de l'assurance parentale, Marie Gendron, rappelle que plusieurs nouvelles mesures sont entrées en vigueur en 2021. Si certaines mesures comme l’incitatif au partage des semaines de congé parental sont déjà populaires12, Mme Gendron est d’avis que davantage d’efforts doivent être déployés pour faire connaître les nouveaux paramètres du régime aux parents. De nouvelles bonifications pourraient éventuellement être envisagées, mais nécessiteraient des modifications à la Loi sur l’assurance parentale. Ces bonifications devraient également être compatibles avec la nature du régime, souligne Mme Gendron.   

Financement du Régime québécois d’assurance parentale 

Le RQAP est un régime d’assurance publique entièrement financé par les cotisations des employeurs et des employés. En bonne situation financière, le régime est excédentaire depuis plusieurs années
13. 
Photo de Geoffroy Boucher

Par Geoffroy Boucher

Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Depuis peu, il a rejoint l’Observatoire québécois des inégalités et agit également comme consultant en politiques publiques.

Notes de fin 

1. Guy Lacroix et al. (2016). Le comportement des prestataires du RQAP. Retombées économiques et sociales du régime québécois d’assurance parentale – Bilan de dix années d’existence, Gouvernement du Québec 
2. Québec (2020). Loi visant principalement à améliorer la flexibilité du régime d’assurance parentale afin de favoriser la conciliation famille-travail. 
3. OCDE (2011). Assurer le bien-être des familles, Éditions OCDE. 
4. Il existe également un autre régime d’assurance parentale, appelé régime particulier. Ce régime offre un nombre de semaines réduit, mais couvert à 75% du revenu. 
5. Gabrielle Garon-Carrier, Arya Ansari, Rachel Margolis et Caroline Fitzpatrick (2023). Maternal Labor Force Participation During the Child’s First Year and Later Separation Anxiety Symptoms. Health Education & Behavior, 50(6):792-801. 
6. Eve-Lyne Couturier et Guillaume Tremblay-Boily (2024). Le revenu viable en 2024: sortir de la pauvreté en contexte de crise du logement, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques. 
7. Conseil de gestion de l'assurance parentale (2024). Profil des prestataires 2021, illustration 8. Statistique Canada (2023). Enquête sur la couverture de l'assurance-emploi, 2022.
9. Conseil de gestion de l'assurance parentale (2024). Profil des prestataires 2021, illustration 15.
10. Valérie Harvey (2019). Les pères québécois : papa inutiles ou partenaires?
11. Conseil du statut de la femme (2020). Pour un régime d’assurance parentale équitable, flexible et actuel : mémoire sur le projet de loi no 51 Loi visant principalement à améliorer la flexibilité du régime d’assurance parentale afin de favoriser la conciliation famille-travail 
12. Conseil de gestion de l'assurance parentale (2024). Rapport actuariel du Régime québécois d’assurance parentale au 31 décembre 2023
13.
Conseil de gestion de l’assurance parentale (2024). Coup d’œil sur les bénéfices liés à l’utilisation des nouvelles mesures du Régime québécois d’assurance parentale. 

 

Pour aller plus loin

Consulter le site du Conseil de gestion de l’assurance parentale et du Régime québécois de l’assurance parentale. 

Lire l’article Davantage de parents partagent le congé parental 

Découvrez notre dossier Web Comment favoriser l’engagement des pères par nos politiques publiques? 

Consulter le Portrait des politiques publiques