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26 mars 2024

Investissements en petite enfance : le Québec est-il encore un chef de file?

	Investissements en petite enfance : le Québec est-il encore un chef de file?
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Photo de Geoffroy Boucher
Geoffroy Boucher
Économiste à l'Observatoire québécois des inégalités et consultant en politiques publiques

Au moment de l’adoption de sa toute première politique familiale, à la fin des années 1990, le Québec se positionnait comme un pionnier des investissements en petite enfance et du soutien aux familles. Qu’en est-il aujourd’hui, alors que le Québec perd peu à peu son avance en matière d’investissements en petite enfance? 

Un fort consensus s’est formé au cours de la dernière décennie quant aux rendements élevés des interventions préventives en petite enfance et à leurs retombées positives pour l’ensemble de la société. S’appuyant sur ce consensus, plusieurs provinces canadiennes et pays membres de l’OCDE ont augmenté significativement leurs dépenses dans ce secteur au cours des dernières années.  

Le Québec : un pionnier des investissements en petite enfance 

Au tournant des années 2000, suivant l’adoption de sa toute première politique familiale, le Québec se démarquait des autres provinces canadiennes par une importante croissance des dépenses publiques pour soutenir les familles et les jeunes enfants. Entre 1997-1998 et 2000-2001, les dépenses en éducation à la petite enfance ont augmenté de 264 % en 3 ans, soit une hausse moyenne de 88 % par année. La cadence de ces investissements a toutefois ralenti à partir du milieu des années 2000, après quoi ils ont atteint un rythme d’augmentation moyen de 4% par année. L’économiste Pierre Fortin explique que le développement du réseau des services de garde éducatifs a atteint son rythme de croisière à ce moment; la croissance fut donc plus modérée à partir de 2005.  

Dans le reste du Canada, les investissements publics en éducation à la petite enfance ont évolué à un rythme beaucoup plus faible durant les décennies 1990 et 2000, soit 8 % par année en moyenne contre 66 % au Québec. 

Le Québec : une source d’inspiration au pays 

Selon la chercheuse principale en politiques du Atkinson Centre for Society and Child Development, Emis Akbari, le Québec a mis la barre haute en matière de dépenses pour les services de garde éducatifs au pays. 

« Lors de notre premier rapport en 2011, le Québec était la seule juridiction au Canada à dédier plus de 3 % de ses dépenses gouvernementales aux services de garde éducatifs. La province a ouvert la voie en matière de tarifs réduits et de qualité des services. » – Emis Akbari, PH.D, Atkinson Centre for Society and Child Development 

Au cours de la décennie 2010, les autres provinces canadiennes ont emboîté le pas et accéléré significativement le rythme de leurs investissements. En 2011, les dépenses publiques pour l’éducation préscolaire, les services de garde éducatifs et le soutien aux familles représentaient environ 2 % des dépenses gouvernementales en Ontario. En 2023, cette part était passée à 3,6 %. La part des dépenses gouvernementales dédiées à l’éducation à la petite enfance a également connu une importante augmentation en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick, où elle a pratiquement doublé.  

Pendant cette même période, la part des dépenses consacrées à l’éducation à la petite enfance au Québec a d’abord diminué, passant de 4,7 % en 2011 à 4,0 % en 2020, pour ensuite remonter à 4,8 % en 2023. Sur l’ensemble de la période, elle est demeurée stable.  

Les données présentées ici concernent principalement l’éducation à la petite enfance. Or, les investissements en petite enfance ne s’y limitent pas. Au Québec, ils incluent notamment plusieurs programmes du réseau de la santé et des services sociaux, comme :

    - Le programme de services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (SIPPE)
   
- Le programme Agir tôt
    - Les programmes Jeunes en difficulté et Protection de la jeunesse
   
- Le soutien financier au programme de suivi Olo, aux centres de pédiatrie sociale en communauté et aux centres de ressources périnatales.  

Malheureusement, aucun portrait complet des investissements en petite enfance n’est disponible au Québec. 

Une accélération des investissements en petite enfance à l’international  

Les rendements élevés des interventions préventives en petite enfance ont convaincu un grand nombre de pays de l’OCDE d’accélérer leurs investissements dans ce domaine.  

En moyenne, la part des dépenses gouvernementales dédiées à l'éducation à la petite enfance a augmenté de 12 % entre 2012 et 2020 au sein des pays de l’OCDE. Certains pays ont connu une augmentation particulièrement forte. C’est notamment le cas de l’Australie et de l’Allemagne, où la part des dépenses a bondi respectivement de 24 % et de 47 %. Au Québec, cette part diminuait de 15 % durant la même période. 

Le Québec doit demeurer un chef de file 

Alors que le Québec perd peu à peu son avance en matière d’investissements en petite enfance, l’économiste Pierre Fortin rappelle l’importance capitale de la qualité des services de garde éducatifs pour assurer le bon développement des tout-petits. Il se questionne si le niveau d’investissements actuel permet d’offrir des services de qualité à tous les enfants. « Selon les données de l’Institut de la statistique du Québec, la qualité est généralement bonne ou excellente en CPE, mais ce n’est pas le cas de tous les milieux de garde, » souligne l’économiste.  

Selon Kerry McCuaig, chercheuse au Atkinson Centre for Society and Child Development, la quantité de ressources financières investies en éducation à la petite enfance est une donnée importante, mais la manière dont sont allouées ces ressources est encore plus importante. Pour avoir un impact positif sur le développement des enfants, ces ressources doivent soutenir des interventions de qualité.  

Dans le même esprit, la directrice du Collectif petite enfance, Elise Bonneville, croit que le gouvernement du Québec doit prioriser l’accroissement des investissements qui soutiennent le développement et le bien-être des tout-petits. 

« Le Collectif petite enfance est d’avis que le Québec a tout à gagner à demeurer un chef de file en matière d’investissements en petite enfance. Face aux défis des prochaines décennies, investir massivement en petite enfance constitue le plus important legs que le gouvernement du Québec puisse offrir à nos tout-petits et à l’ensemble de la société. » — Elise Bonneville, directrice du Collectif petite enfance 

Dans un contexte de vieillissement de la population et de rareté de main-d’œuvre, investir massivement en petite enfance, là où les rendements sur investissement sont particulièrement élevés, constitue effectivement une stratégie gagnante. En offrant à chaque enfant la chance de développer son plein potentiel, le Québec sera en meilleure posture pour faire face aux défis économiques et sociaux des prochaines décennies.  

Photo de Geoffroy Boucher

Par Geoffroy Boucher

Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Depuis peu, il a rejoint l’Observatoire québécois des inégalités et agit également comme consultant en politiques publiques.

Pour aller plus loin  

Lire la lettre ouverte du Collectif petite enfance Petite enfance et prospérité de l’État 

Lire la chronique Pourquoi investir en petite enfance ? 

Consulter le site web du Atkinson Centre for Society and Child Development

Consulter le Portrait des politiques publiques 

Consulter la base de données interactive de l’OCDE