La santé dentaire des tout-petits, reflet des inégalités
Même si elles vont finir par tomber, les dents de bébé ne sont pas à négliger. Leur état influence la santé globale d’un enfant, d’où l’importance d’avoir accès à des soins dentaires de façon précoce.
On ne dispose pas de données sur l’état de santé dentaire des tout-petits au Québec. Au mieux, on peut avoir une idée en regardant la situation chez les enfants au début de leur primaire. Par exemple, selon des données recueillies en 2012-2013 par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), 53 % des élèves de 2e année sont touchés par la carie.
« En général, chez une grande partie des enfants, ça se passe quand même bien », nuance toutefois le Dr Normand Bach, professeur à la faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal et directeur du Département de santé buccale. Ces enfants ont peu ou pas de caries.
« Selon la littérature scientifique, le problème se situe toutefois chez environ 30 % des enfants, que ce soit au Québec, au Canada ou en Amérique du Nord, précise-t-il. Chez eux, il y a clairement un problème sur plusieurs aspects. » Par exemple, il peut y avoir des lacunes au niveau de l’alimentation, des habitudes de brossage, de l’application de fluor ou du suivi par un dentiste.
Des inégalités
Les données de l’INPSQ confirment que la carie est plus fréquente chez les groupes défavorisés sur le plan socioéconomique. Selon l’Institut de recherche et d’information socioéconomique (IRIS), il y aurait deux fois plus de caries chez les enfants des ménages gagnant moins de 30 000 $ que chez ceux dont le ménage gagne plus de 50 000 $. De plus, une analyse des données de l’ELDEQ réalisée en 2015 par l’Institut de la statistique du Québec a observé que le niveau d’éducation des parents, en particulier celui de la mère, a un effet important.
Par ailleurs, selon des données de la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ), seulement 1/4 des enfants de 0 à 5 ans (24.2 %) ont consulté un dentiste pour un examen dans le cadre du programme de soins dentaires de la RAMQ en 2020. Pourtant, la visite chez le dentiste pour un tout-petit est couverte par la RAMQ. Les auteurs d’un rapport d’analyse de l’accès aux soins dentaires au Québec observent que, malgré la gratuité de ce service, plusieurs barrières persistent.
Des complications graves
La carie dentaire peut avoir des conséquences importantes sur la santé des tout-petits.
Ce sont des problématiques complexes que les dentistes généralistes ne peuvent pas traiter. « Imaginez réparer plusieurs caries chez un enfant de 3 ou 4 ans, explique-t-il. Ce n’est pas évident. » Ces enfants doivent donc être référés vers des dentistes spécialisés en dentisterie pédiatrique.
De plus, chez les jeunes enfants, la réparation de plusieurs caries nécessite généralement une anesthésie générale. « Dans les bureaux privés, on ne fait pas ce genre d’anesthésie, remarque le Dr Bach. Cela doit être fait en milieu hospitalier. »
Selon l’Association dentaire canadienne, la carie dentaire est d’ailleurs responsable du tiers de toutes les chirurgies d’un jour pratiqués chez des enfants âgés de un à cinq ans. Cependant, le manque d’anesthésistes et les longs délais d’attente posent problème. « Le réflexe en centre hospitalier, c’est de dire que c’est juste des dents, déplore le Dr Bach. Ça passe après un cœur, un rein ou un cerveau. »
Des conséquences à long terme
Pourtant la santé buccodentaire affecte la santé générale et la qualité de vie de l’enfant. « C’est important sur plusieurs facettes, confirme le Dr Bach. D’abord, c’est une question d’estime de soi pour l’enfant. »
Les dents de bébé jouent également un rôle pour maintenir l’espace nécessaire pour les dents d’adulte plus tard. « Les dents de bébé qui sont perdues trop tôt peuvent occasionner des problèmes de malocclusions et des problèmes d’alignement des dents », remarque-t-il.
Les dents sont aussi importantes pour la mastication et la prononciation. « S’il manque des dents en avant, la langue va aller à des endroits où elle n’est pas supposée », explique-t-il.
Agir dès la grossesse
Les habitudes de vie et d’hygiène dentaire ont des impacts importants sur la santé buccodentaire, peut-on lire dans le programme national de santé publique 2015-2025. Par exemple, selon les données de l’ELDEQ, les enfants ont une plus grande probabilité d’être affectés par la carie dentaire à 8 ans lorsque leurs dents n’ont pas été brossées au moins deux fois par jour de l’âge de 29 mois à 6 ans. De plus, la probabilité d’être affectés par la carie dentaire est plus élevée chez les tout-petits qui prennent une collation sucrée plus d’une fois par jour.
C’est pourquoi il faut donner les bonnes instructions aux familles très tôt, croit le Dr Bach. Cela peut même se faire dès la grossesse. « Les gens qui suivent la femme au CLSC ou en milieu hospitalier peuvent parler de l’alimentation, de la carie du biberon et du brossage », propose-t-il.
Voir un dentiste avant un an
Il est aussi important que les dentistes de première ligne puissent rencontrer les bébés dans les six mois qui suivent l’éruption des premières dents ou avant l’âge d’un an.
Bien sûr, il n’y a pas encore de nettoyage à faire, mais cette visite est l’occasion de faire de l’éducation auprès des parents et de s’assurer que l’enfant développera des bonnes habitudes par rapport à l’hygiène dentaire.
Miser sur la prévention
Enfin, les pays qui offrent une couverture universelle des soins dentaires aux enfants obtiennent de meilleurs résultats dans leur lutte contre la carie dentaire. Malheureusement, bien que le programme de couverture des services dentaires de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) destiné aux enfants de moins de 10 ans comprenne un examen complet annuel et des soins pour traiter la carie et les autres problèmes dentaires, aucun service préventif n’y est offert. Pourtant, les soins préventifs jouent un rôle important dans la prévention des maladies buccodentaires.
Depuis septembre 2020, les hygiénistes dentaires peuvent désormais travailler sans la présence d’un dentiste, que ce soit pour l’évaluation de la santé buccodentaire ou pour certains soins et traitements. De plus, depuis le 1er juin dernier, la loi reconnait l’hygiéniste dentaire comme dispensateur de soins pour certains services aux personnes assurées admissibles à un programme d’aide financière au sens de la Loi sur l’assurance maladie et de facturer directement la RAMQ, ce qui aide à l’accessibilité, et a le potentiel d’augmenter la fréquentation chez les moins de 5 ans.
Par Kathleen Couillard
Titulaire d’une maîtrise en microbiologie, Kathleen Couillard œuvre comme journaliste scientifique depuis plus de 10 ans. Elle a également occupé le poste de conseillère au transfert des connaissances à l’Observatoire des tout-petits pendant deux ans et demi. Elle collabore maintenant avec différents médias dont l’Agence Science-Presse, Naître et grandir, L’Actualité et Protégez-Vous. Elle s’intéresse plus particulièrement à tout ce qui touche la santé, la famille et le développement des enfants.
Pour aller plus loin
Consulter la section de notre Portrait des politiques publiques consacrée à l'utilisation des services de soins dentaires
Lire notre actualité sur l'accès des tout-petits aux soins buccodentaires
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