L’insécurité alimentaire, un enjeu complexe
Plusieurs données préoccupantes concernant l’insécurité alimentaire au Québec ont été rendues publiques au cours des derniers mois. Comment cette situation peut-elle affecter le développement des tout-petits? À l’occasion du mois de la nutrition, le Dr Vincent Paquin répond à nos questions.
En septembre dernier, l’Observatoire québécois des inégalités publiait le Rapport « La faim justifie les moyens ». On y apprend qu’au Québec, 16 % des enfants mineurs vivent dans des ménages en situation d’insécurité alimentaire. Les ménages avec enfants sont d’ailleurs parmi les groupes les plus touchés par cet enjeu, en particulier les familles monoparentales.
Ensuite, en octobre, le Dispensaire diététique de Montréal a révélé que le prix du Panier à provisions nutritif et économique pour une famille avec deux enfants avait augmenté de 15 % en moins d’un an. Le Bilan-Faim des Banques alimentaires du Québec publié quelques semaines plus tard indique quant à lui que les demandes d’aide alimentaire ont augmenté de 20 % depuis 2021 et que 34 % des bénéficiaires sont des enfants. Enfin, un récent sondage de la Fondation Olo révèle que de nombreuses femmes enceintes du Québec doivent désormais choisir au quotidien entre se nourrir elles-mêmes, et donc l’enfant à naître, ou nourrir ses enfants déjà nés.
Pour mieux comprendre les implications de cette situation pour les tout-petits québécois, nous avons interrogé le Dr Vincent Paquin, résident en psychiatrie à l’Université McGill, qui s’intéresse aux conséquences de l’insécurité alimentaire sur les enfants.
Dr Paquin, que pensez-vous de ces nouvelles données concernant l’insécurité alimentaire au Québec?
Malheureusement, elles ne me surprennent pas. Quelques mois après le début de la pandémie de Covid-19, des données québécoises suggéraient déjà que l’insécurité alimentaire était en augmentation. Maintenant, avec l’inflation, on peut imaginer que le problème va s’amplifier davantage. De plus, on savait que les familles avec des enfants sont particulièrement affectées par cet enjeu. Ces chiffres illustrent donc comment la situation économique actuelle affecte de façon disproportionnée les familles avec des jeunes enfants.
Concrètement, comment l’insécurité alimentaire influence-t-elle le quotidien des enfants?
Le manque de nourriture peut causer une sensation de faim qui peut être pénible pour les tout-petits. Dans les cas les plus sévères, les carences alimentaires peuvent affecter leur croissance et même le développement de leur cerveau. De plus, quand les moyens financiers sont limités, les familles ont tendance à se tourner vers des aliments moins chers et moins nutritifs, mais denses en énergie comme la malbouffe et les boissons sucrées, justement pour prévenir la faim. Cependant, cette nourriture dense en énergie peut augmenter le risque d’obésité chez l’enfant.
Par ailleurs, l’insécurité alimentaire peut aussi être une source de stress chez les parents qui doivent redoubler d’efforts et de créativité pour subvenir aux besoins alimentaires de la famille. Les enfants peuvent percevoir ce stress et être témoin de conflits entre leurs parents. Ceux-ci peuvent également être moins disponibles émotionnellement en raison de ce stress. Tout cela peut affecter la santé mentale des tout-petits. Enfin, les enfants affectés par l’insécurité alimentaire peuvent devenir soucieux du regard des autres en vieillissant. Ils peuvent subir de la stigmatisation en raison de leur situation de vulnérabilité économique et ressentir de la honte.
Vous avez réalisé une étude sur les impacts à long terme de l’insécurité alimentaire. Qu’avez-vous observé?
Avec mes collègues, je me suis penché sur cet enjeu grâce à l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ELDEQ), une cohorte de plus de 2 000 enfants québécois suivis depuis la petite enfance jusqu’à l’âge adulte. Parmi ces enfants, 4 % d’entre eux ont été exposés de façon récurrente à l’insécurité alimentaire de la petite enfance jusqu’au début de l’adolescence. Nous avons observé que ces enfants rapportaient davantage d’utilisation du cannabis à l’adolescence. Ils vivaient aussi plus d’intimidation à l’école et avaient plus de difficultés académiques liées au risque de décrochage scolaire à 15 ans. Notre étude suggère donc que pour environ un enfant par classe à l’école, un risque d’insécurité alimentaire persiste dans le temps et est associé avec des problèmes à long terme au niveau des relations sociales et du fonctionnement scolaire qui peut mettre en danger la réussite académique.
Pourquoi les études sur l’insécurité alimentaire sont-elles importantes?
Les mécanismes expliquant les impacts possibles à long terme de l’insécurité alimentaire sont complexes. Ils impliquent à la fois des causes biologiques et psychologiques. En tant que société, ce type de recherche nous aide à mieux reconnaître et soutenir les familles en situation de précarité. L’objectif est d’intervenir en amont et ainsi d’améliorer la santé et le développement des enfants à long terme.
Quelles interventions peuvent être mises en place pour lutter contre les effets négatifs de l’insécurité alimentaire?
Les banques alimentaires jouent un rôle très important pour réduire l’insécurité alimentaire chez les enfants en offrant un soutien immédiat. À plus long terme, les jardins communautaires, les cuisines collectives et d’autres initiatives de ce genre pourraient aussi contribuer à la prévention. Ensuite, divers programmes peuvent faire une différence à l’échelle nationale. Parmi ceux-ci, il y a le club des petits déjeuners et les programmes gouvernementaux de soutien financier et de logement social pour les familles à très faibles revenus. En effet, nous voulons non seulement augmenter l’accès à la nourriture, mais également aider les familles à diminuer leur fardeau financier dans d’autres sphères. Ils auront ainsi davantage de ressources à consacrer à la nourriture.
Enfin, les travailleurs de la santé, des services sociaux et des milieux scolaires ont un rôle à jouer parce qu’ils sont en première ligne pour identifier les enfants à risque d’insécurité alimentaire. Ils peuvent ensuite diriger ces familles vers des ressources dans la communauté et offrir des interventions ciblées pour tenter de réduire les conséquences à long terme de l’insécurité alimentaire sur le développement des enfants.
Il est donc important d’avoir une approche globale pour aider les familles touchées par l’insécurité?
Exactement. L’insécurité alimentaire est un enjeu qui concerne plusieurs secteurs, plusieurs disciplines scientifiques et plusieurs paliers gouvernementaux. Cela rend cet enjeu plus difficile à décrire et à régler parce qu’il n’y a pas qu’une seule solution. Il faut une combinaison d’approches à plusieurs niveaux. Enfin, la recherche peut aussi aider à comprendre cette complexité et à communiquer l’ampleur de la situation aux différents acteurs qui sont impliqués.
Par Kathleen Couillard
Titulaire d’une maîtrise en microbiologie, Kathleen Couillard œuvre comme journaliste scientifique depuis plus de 10 ans. Elle a également occupé le poste de conseillère au transfert des connaissances à l’Observatoire des tout-petits pendant deux ans et demi. Elle collabore maintenant avec différents médias dont l’Agence Science-Presse, Naître et grandir, L’Actualité et Protégez-Vous. Elle s’intéresse plus particulièrement à tout ce qui touche la santé, la famille et le développement des enfants.
Pour aller plus loin
Écouter l’entrevue de notre directrice, Fannie Dagenais, à QUB radio le 17 mars 2023
Lire notre article sur l’insécurité alimentaire en 2022
Lire le chapitre de notre Portrait des politiques publiques consacré à la sécurité alimentaire
Consulter le Bilan-Faim (2022)
Consulter le Panier à provisions nutritif et économique
Consulter le rapport du sondage de la Fondation Olo (2022)
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