Observatoire des tout-petits

Chroniques
6 décembre 2022

Lutte à la pauvreté: pourquoi miser sur le filet de sécurité?

Lutte à la pauvreté: pourquoi miser sur le filet de sécurité?
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Photo de Kathleen Couillard
Kathleen Couillard
Journaliste scientifique

Selon des données récentes, la pauvreté chez les enfants est en nette diminution aux États-Unis, notamment en raison de la mise en place par les gouvernements d’un meilleur filet de sécurité. Qu’en est-il au Québec? L’économiste Pierre Fortin nous apporte ses éclairages.

En septembre dernier, le New York Times publiait des données sur l’état de la pauvreté infantile aux États-Unis. Alors qu’en 1993, 28 % des enfants américains vivaient sous le seuil de la pauvreté, cette proportion avait diminué à 11 % en 2019. Cela représente 11 millions d’enfants de moins.

Selon le journaliste Jason DeParle, les dernières décennies ont vu apparaître aux États-Unis plusieurs petits programmes faisant office de filet de sécurité pour les parents avec un faible revenu: bons alimentaires, crédit d’impôt sur le revenu gagné, crédit d’impôt pour enfant, programme de dîners dans les écoles, assurance-chômage. Une famille qui gagne moins de 20 000 $ après impôt reçoit ainsi environ le même montant de la part du gouvernement pour compenser son revenu insuffisant. Cela permet donc à ces familles de passer au-dessus du seuil de pauvreté.

Au Canada: l’allocation canadienne pour enfant

Selon Campagne 2000, une coalition canadienne de partenaires luttant contre la pauvreté, le taux de pauvreté infantile au Canada a graduellement diminué entre 2003 et 2015. Puis, à partir de ce moment, la réduction s’est accélérée en raison des prestations pour enfants plus généreuses qui ont été introduites.

Selon le rapport 2022 du Conseil consultatif national sur la pauvreté, le taux de pauvreté chez les enfants au Canada est en effet passé de 16,3 % en 2015 à 9,4 % en 2019. Ces données se basent sur la Mesure du panier de consommation (MPC).

« L’allocation canadienne pour enfant (ACE) qui a été bonifiée par le gouvernement fédéral en 2016 a bien aidé les familles pauvres. Nous avons alors fait un pas en avant pour lutter contre la pauvreté chez les enfants. Les études qui ont été faites jusqu’ici sur l’impact de cette mesure ont été très positives. » Pierre Fortin, professeur en sciences économiques à l’UQAM

Selon le Gouvernement du Canada, l’ACE a contribué à sortir près de 300 000 enfants de la pauvreté entre 2015 et 2017. Une étude réalisée par des chercheurs de Toronto a aussi montré que l’introduction de l’ACE en 2016 a aidé à accroître le revenu et à réduire la probabilité d’avoir un faible revenu chez les mères célibataires.

Par ailleurs, le taux de pauvreté chez les enfants au Canada a diminué encore davantage par la suite pour se situer à 4,7 % en 2020. Cependant, cette réduction est vraisemblablement due à une augmentation temporaire de l’ACE en 2020. D’autres prestations comme la prestation canadienne d’urgence (PCU) ont également contribué à réduire la pauvreté infantile, mais cet effet risque d’être de courte durée.

Au Québec: le réseau des services de garde

« Nos mesures sociales sont plus avancées au Québec que dans les autres provinces, souligne Pierre Fortin. Les services de garde à tarif modique existent depuis 25 ans au Québec. Dans le reste du Canada, cela fait seulement 2 ans que le gouvernement fédéral a lancé une grande initiative pour imiter le système québécois. »

Selon des données de Statistique Canada, le taux de pauvreté chez les enfants de 0 à 17 ans au Québec était de 13,9 % en 2015, de 9,3 % en 2019 et de 2,3 % en 2020. Pendant ce temps au Manitoba, le taux de pauvreté est passé de 19,3 % en 2015 à 13,5 % en 2019 puis à 6 % en 2020.

Les services de garde à l’enfance sont une composante essentielle pour mettre fin à la pauvreté des enfants et des familles, croit également Campagne 2000. En effet, le manque de services de garde à l’enfance abordables, accessibles et de bonne qualité est un obstacle à l’emploi pour plusieurs parents, surtout des femmes.

La participation des femmes québécoises au marché du travail est passée de 74 % à 88 % entre 1997 et 2022,  souligne d’ailleurs Pierre Fortin. Pendant la même période, cette proportion a augmenté de 78 % à 84 % dans le reste du Canada et elle est demeurée stable à 76 % aux États-Unis, qui ne disposent pas d'un tel réseau.

Plusieurs études ont conclu que le réseau québécois des services de garde à l’enfance est responsable de cette amélioration. Selon Pierre Fortin, ce programme a aussi contribué à diminuer le nombre de parents monoparentaux bénéficiaires de l’aide sociale de 99 000 parents en 1996 à 23 000 parents en 2022 [1].

Encore place à l’amélioration

La pauvreté chez les enfants, en particulier chez les tout-petits, est préoccupante puisque cette période du développement est très importante pour la réussite scolaire et professionnelle, rappelle Campagne 2000.

« La science a démontré que pendant les 3 à 4 premières années de vie, le cerveau continue de se développer très rapidement, ajoute Pierre Fortin. Le contexte des premières années est absolument primordial pour l’ensemble de la vie. »

Cependant, l’économiste déplore que seulement 41 % des parents avec un faible revenu envoient leur enfant dans un service de garde de qualité alors que c’est le cas de 77 % des parents avec un revenu élevé [2].

Par ailleurs, pour certaines familles à faible revenu, le tarif unique de 8,70 $ est trop cher, en particulier chez celles qui ont plus d’un enfant. « Beaucoup de mères dans ces familles n’ont pas d’emploi et gardent donc leur enfant à la maison, explique l’économiste. Lorsqu’elles le font garder, elles vont avoir plus souvent recours à une grand-mère ou à une amie. Enfin, si l’enfant va en garderie, il ne fréquente pas nécessairement un établissement de qualité parce que l’accès à ces garderies est moins bien distribué dans les quartiers plus pauvres. » Selon lui, il est donc essentiel de permettre à un plus grand nombre d’enfants défavorisés de fréquenter un service de garde éducatif de qualité.

Pour ce qui est de l’allocation canadienne pour enfant, cette mesure a réduit considérablement le taux de pauvreté infantile à sa mise en œuvre en 2016, mais les résultats par la suite indiqueraient un impact passager plutôt que soutenu, observe Campagne 2000. Étant donné la prévalence de l’insécurité alimentaire et des taux de pauvreté élevés, l’ACE n’est pas suffisamment robuste et accessible, ajoute la coalition.

Campagne 2000 recommande donc au gouvernement fédéral de l’améliorer et de la rendre plus accessible aux familles vulnérables. En juillet dernier, la ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social du Canada a d’ailleurs annoncé une augmentation du montant maximal de l’ACE pour aider les familles à s’adapter à l’augmentation du coût de la vie.

Photo de Kathleen Couillard

Par Kathleen Couillard

Titulaire d’une maîtrise en microbiologie, Kathleen Couillard œuvre comme journaliste scientifique depuis plus de 10 ans. Elle a également occupé le poste de conseillère au transfert des connaissances à l’Observatoire des tout-petits pendant deux ans et demi. Elle collabore maintenant avec différents médias dont l’Agence Science-Presse, Naître et grandir, L’Actualité et Protégez-Vous. Elle s’intéresse plus particulièrement à tout ce qui touche la santé, la famille et le développement des enfants.

Pour aller plus loin

Consulter les résultats de notre sondage sur les investissements prioritaires en petite enfance identifiés par la population québécoise

Parcourez notre Portrait des politiques publiques : Que faisons-nous au Québec pour nos tout-petits et leur famille?

 

 

[1] Fortin, Pierre. Quebec Childcare: An Economist’s View. Septembre 2022.

[2] Catherine Haeck, Pierre Lefebvre, Philip Merrigan. 2015. “Canadian evidence on ten years of universal preschool policies: the good and the bad.” Labour Economics 36, 137-157
Christa Japel. 2016. « Portrait du réseau des services de garde en 2016. » Mémoire présenté à la Commission sur les services de garde éducatifs, Montréal.