Maltraitance chez les tout-petits : il est possible d'agir sur les facteurs de risque accentués par la crise actuelle
Les conséquences de la pandémie de la COVID-19 sur la société seront nombreuses, particulièrement au sein des familles qui sont déjà vulnérables. Il est possible d'agir collectivement pour prévenir que des situations de maltraitance et de violence chez les tout-petits ne se produisent pendant la période d'isolement.
À la suite de l’annonce effectuée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse quant à la fragilisation du filet social entourant les enfants, l’Observatoire des tout-petits souhaite mettre en lumière les facteurs de risque qui pourraient être à la source d’une augmentation des cas de maltraitance chez les tout-petits durant la crise, et encourager la réflexion sur les solutions qui pourraient être mises en œuvre collectivement.
Les conditions dans lesquelles les tout-petits grandissent peuvent influencer le risque que des situations de maltraitance se produisent. Le stress vécu par les parents, le manque de soutien, les symptômes dépressifs ainsi que le fait de vivre dans des conditions difficiles comme la pauvreté ou l’isolement peuvent effectivement augmenter le risque que des situations de maltraitance se produisent au sein des familles. Les études démontrent qu’aucun facteur de risque n’est responsable à lui seul de la maltraitance. Les causes sont en général multiples et peuvent varier d’une famille à l’autre. Il faut donc agir sur plusieurs fronts.
Certaines données démontraient déjà que de nombreuses familles québécoises étaient exposées à ces conditions bien avant la pandémie :
- 13,9 % des enfants québécois âgés de 0 à 5 ans vivaient dans une famille à faible revenu en 2016, et 10 % des ménages québécois avec au moins un enfant de moins de 6 ans étaient en situation d’insécurité alimentaire en 2015-2016.
- En 2018, 39,2 % des mères et 23,4 % des pères de tout-petits présentaient un niveau de stress élevé lié à la conciliation des obligations familiales et extrafamiliales.
- Un parent sur quatre disait en 2015 ne pas pouvoir compter sur son entourage lorsqu’il n’en peut plus.
- 11 % des mères et 6,6 % des pères de tout-petits présentaient des symptômes dépressifs modérés à graves en 2018.
La majorité des facteurs de risque de la maltraitance peuvent s’exacerber dans le contexte de pandémie et d'isolement auquel sont actuellement exposées les familles québécoises. Voici quelques exemples concrets :
- Les pertes d’emploi vécues par plusieurs familles augmentent cette pression économique sur les familles. Plusieurs familles en situation de pauvreté ayant normalement recours aux banques alimentaires n'y ont plus accès, car la majorité des services sont suspendus ou lourdement affectés en raison de l'interdiction de rassemblement et de la réduction drastique de bénévoles contraints à rester chez eux, selon un communiqué de Centraide du Grand Montréal.
- Dans le contexte actuel, de nombreux parents se retrouvent à faire du télétravail, mais dans un contexte assez inhabituel : avec des enfants à la maison dont ils doivent s'occuper tout en travaillant. Le défi de conciliation famille-travail est donc exacerbé, tout particulièrement pour les parents de tout-petits, puisque ceux-ci nécessitent plus d'attention et de soins.
- Considérant la fermeture des organismes communautaires famille et des haltes-garderies au public1, la situation actuelle prive les familles de ce soutien précieux. Pour répondre aux besoins qui se font sentir pendant la crise, les équipes de LigneParents et de la FQOCF ont rapidement mis en place Priorité Parents afin de créer un pont et ainsi assurer un soutien aux parents en prolongeant des suivis pouvant être effectués de manière régulière à plus long terme. Cet accompagnement personnalisé est offert par les intervenants des OCF, selon les besoins et la réalité de chaque parent.
- En étant isolées des autres, certaines personnes peuvent devenir plus anxieuses ou inquiètes. Le caractère anxiogène de la situation que nous vivons actuellement peut exacerber la vulnérabilité des parents qui souffrent de problèmes de santé mentale.
Note 1 : voir dans l'encadré les services qui sont actuellement maintenus par les OCF.
Quelques exemples de pistes de solutions qui pourraient être mises en œuvre et auxquelles nous pouvons réfléchir collectivement :
DÉCIDEURS
- Renforcer le soutien économique aux familles vulnérables.
- Outiller tous les intervenants qui ont des contacts avec les familles pour dépister les situations de détresse qui peuvent mener à la maltraitance. Les soutenir afin qu’ils puissent accompagner les parents dans l’exercice de leur rôle et les diriger vers les bonnes ressources au besoin.
- Soutenir les organismes de proximité afin qu’ils puissent maintenir le plus possible un tissu social autour des familles en expérimentant de nouvelles avenues : des groupes d’échanges entre parents par visioconférence, des suivis téléphoniques auprès des familles qui fréquentent les haltes-garderies pour voir comment ça se passe, etc.
- Mettre en place certaines mesures comme celles recommandées par l’Observatoire québécois des inégalités pour mieux soutenir les sous-groupes de la population qui sont plus vulnérables aux effets de la pandémie. Par exemple :
- Un moratoire temporaire sur les obligations financières en s’assurant que les agences de crédit ne pénalisent pas la cote de crédit des plus vulnérables.
- Un effort national de recrutement de bénévoles à distance et de don de matériel informatique aux organismes voués à réduire l’isolement des personnes vulnérables.
- Création d’un comité consultatif réunissant les principaux experts et organisations œuvrant auprès des plus vulnérables pour identifier en temps réel les enjeux auxquels ces groupes font face, la production d’analyses et l’impact des politiques.
EMPLOYEURS
- Transmettre les coordonnées des programmes d’aide aux employés (PAE) ou de télémédecine ainsi que les lignes d'urgence aux employés.
- Faire preuve d’ouverture et témoigner à vos employés que vous comprenez leur réalité dans ce contexte de crise.
- S’entendre avec ses employés sur des livrables réalistes.
TOUS
- Appel à tous de la CDPDJ, visant à encourager les gens à : « téléphoner à ses nièces, ses petits-enfants ou ses jeunes voisins pour leur demander comment ils vont, à envoyer des messages courriel ou via les réseaux sociaux s'ils y sont présents ». Il est possible d’être là pour les autres via les technologies.
- Consulter la Trousse préparée par l’Ordre des psychologues du Québec, pour retrouver des conseils, des informations, des outils et des ressources.
- S’informer auprès de sources officielles au sujet du coronavirus et de la COVID-19, recensées ici par Naître et grandir, et s’appuyer sur des faits afin de relativiser la situation.
Liens et ressources utiles
Si vous croyez qu’un enfant est maltraité, négligé ou manifeste des troubles de comportements sérieux, vous pouvez le signaler au Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) de votre région.
Ressources d’aide immédiate pour les parents :
- La LigneParents : service d’intervention accessible jour et nuit, gratuit, confidentiel et offert à tous les parents d’enfants âgés de 0 à 20 ans: 1 800 361-5085
- Tel-Aide : service pour toute personne qui souffre de solitude, de stress, de détresse ou qui a besoin de se confier : 514 935-1101
- Malgré le fait que les organismes communautaires famille soient fermés au public actuellement, la grande majorité assurent un contact téléphonique régulier avec les familles, maintiennent le services de banques et soutien alimentaires et offrent des activités d'échanges entre parents par visioconférence. Pour plus de détails
- La clinique juridique Juripop a instauré une ligne téléphonique d'urgence pour les victimes de violence conjugale qui pourront consulter un avocat gratuitement afin de régler une crise grave : 1 844 312-9009
Références
Centraide du Grand Montréal. (2020). Ici avec cœur en situation de crise mondiale [Communiqué].
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. (2020). Les enfants du Québec ont plus que jamais besoin de protection [Communiqué].
Observatoire des tout-petits (2017). Violence et maltraitance : Les tout-petits québécois sont-ils à l’abri ? Montréal, Québec : Québec : Fondation Lucie et André Chagnon.
Observatoire des tout-petits (2019). Dans quels environnements grandissent les tout-petits du Québec ? Portrait 2019. Montréal, Québec : Fondation Lucie et André Chagnon.
Observatoire québécois des inégalités, Inégaux face au coronavirus, 2020.
LAVOIE, Amélie et Catherine FONTAINE (2016). Mieux connaître la parentalité au Québec. Un portrait à partir de l’Enquête québécoise sur l’expérience des parents d’enfants de 0 à 5 ans 2015, Québec, Institut de la statistique du Québec, 258
Autres actualités
-
Éditos de Julie13 novembre 2024
Des inégalités dès la petite enfance
-
Actualités28 octobre 2024
L'Observatoire recrute un.e conseiller.ère, communications et affaires publiques
-
Chroniques28 octobre 2024
Restreindre la publicité alimentaire destinée aux enfants pour les protéger
-
Chroniques23 octobre 2024
Conciliation famille-travail-études : un défi de taille
-
Actualités2 octobre 2024
Les écrans en services de garde éducatifs : l’avis d’une directrice pédagogique
-
Chroniques30 septembre 2024
Nouveau plan de lutte contre la pauvreté : quelles répercussions pour les tout-petits?