Observatoire des tout-petits

26 mai 2020

De nombreuses familles québécoises exposées aux facteurs de risque de la maltraitance

Le point
Le Bilan des DPJ 2020 a été publié le 23 septembre 2020. L'article ci-dessous sera mis à jour très prochainement afin d'y inclure les données les plus récentes. 

La maltraitance subie par les enfants de 5 ans ou moins, particulièrement vulnérables en raison de leur très jeune âge, est un enjeu important pour la société québécoise. En effet, des milliers de tout-petits sont touchés chaque année, et les conséquences peuvent être importantes, autant sur leur vie actuelle que future. La maltraitance à l’endroit des enfants inclut toute forme de négligence ou d’abus pouvant avoir des conséquences sur la sécurité, le développement ou l’intégrité physique ou psychologique d’un enfant. Il peut s’agir autant de l’absence de réponse à ses besoins que d’actes dirigés contre lui. Il est essentiel de s’en préoccuper collectivement. 

Les conditions dans lesquelles les tout-petits grandissent peuvent influencer le risque que des situations de maltraitance se produisent. Bien avant la pandémie, nous savions que de nombreuses familles québécoises étaient exposées aux facteurs de risque de maltraitance. Ceux-ci sont exacerbés par la crise actuelle. Le stress vécu par les parents, le manque de soutien, la santé mentale et les symptômes dépressifs ainsi que le fait de vivre dans des conditions difficiles comme la pauvreté ou l’isolement peuvent effectivement augmenter le risque que des situations de maltraitance se produisent au sein des familles.

Ce que nous disent les données récentes

Pour mieux faire état de ce que vivent certains tout-petits québécois, deux types de données sont présentés dans cet article. 

  • Des données recueillies auprès des services de protection de la jeunesse. Ces données ont trait notamment aux signalements de maltraitance retenus et aux formes de maltraitance vécues par les tout-petits concernés. On entend par signalement retenu les « cas considérés comme nécessitant une évaluation à la suite d’un examen sommaire ». 
  • Des données provenant d’enquêtes menées auprès des familles québécoises, notamment l’enquête sur la violence familiale dans la vie des enfants du Québec. Ces données offrent de l’information sur les conduites à caractère violent envers les enfants : la violence physique mineure, la violence physique sévère, l’agression psychologique répétée ainsi que sur l’exposition à la violence conjugale.

Les données recueillies auprès des services de protection ne représentent pas toutes les situations de maltraitance présentes dans la population. En effet, certaines situations ne seront jamais signalées. C’est pourquoi il est utile de se tourner vers les données d’enquêtes réalisées directement auprès des familles pour avoir une idée plus complète de la situation. Ces enquêtes portent, entre autres, sur les conduites parentales à caractère violent. Même si toutes ces conduites ne peuvent pas nécessairement être considérées comme de la maltraitance au sens de la DPJ, elles augmentent le risque de maltraitance à son égard.

Selon les données de l’enquête La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, de manière générale, les conduites parentales à caractère violent envers les enfants sont en légère diminution au Québec. La diminution n'est cependant pas significative pour les agressions psychologiques répétées.

Des facteurs de risque documentés

Les causes de la maltraitance envers les tout-petits sont, en général, multiples et étroitement associées entre elles. Plusieurs études ont démontré qu’aucun facteur de risque n’est responsable à lui seul de la violence et de la maltraitance envers les tout-petits. Le stress vécu par les parents, le manque de soutien, les symptômes dépressifs ainsi que le fait de vivre dans des conditions difficiles comme la pauvreté peuvent accroître le risque que des situations de maltraitance se produisent au sein des familles. La pandémie que nous vivons présentement a aussi accentué plusieurs de ces facteurs de risque au sein des familles. Notre dossier web sur les effets de la pandémie sur les tout-petits et leurs familles contient l’ensemble de nos contenus en lien avec les facteurs de risque à surveiller ou les multiples solutions qui ont été mises en place par tous les secteurs de la société depuis le début de la pandémie. 

Plus le nombre de facteurs de risque auxquels l’enfant est exposé est grand, plus le risque global de violence et de maltraitance augmente.

Selon les données les plus récentes dont nous disposons, de nombreuses familles québécoises sont exposées à ces facteurs de risque. Par exemple, en 2016, 13,9 % des enfants québécois âgés de 0 à 5 ans vivent dans une famille à faible revenu, alors que la recherche scientifique démontre que les conditions socioéconomiques difficiles (pauvreté, monoparentalité, faible soutien social) sont souvent associées à la maltraitance.

Des études ont également démontré que le stress parental – notamment celui lié à la conciliation famille-travail – est un facteur de risque de conduites parentales à caractère violent. Selon l’enquête La violence familiale dans la vie des enfants du Québec réalisée par l’Institut de la statistique du Québec en 2018, et comme explicité dans le Portrait 2019 de l’Observatoire des tout-petits, 39,2 % des mères et 23,4 % des pères de tout-petits de 6 mois à 5 ans présentent un niveau élevé de stress lié à la conciliation des obligations familiales et extrafamiliales. De la même manière, la santé mentale des parents (dépression, anxiété, troubles de la personnalité) est également un facteur de risque à prendre en considération. À cet égard, environ 11 % des mères et 6,6 % des pères de tout-petits présentaient des symptômes dépressifs modérés à graves en 2018.

La consommation abusive d’alcool et de drogues chez le parent est aussi un des facteurs de risque associés à la maltraitance. Selon l’enquête La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, la proportion de parents de tout-petits de 6 mois à 5 ans ayant une consommation d’alcool à risque est demeurée stable de 2012 à 2018. Cette proportion était d’environ 4 % pour les mères et 13 % pour les pères, tant en 2012 qu’en 2018. Les proportions de mères et de pères de tout-petits de 6 mois à 5 ans ayant une consommation problématique de drogues sont aussi restées stables. En 2018, elles étaient d’environ 1,4 % chez les mères et 3,8 % chez les pères.

L’attitude des parents par rapport à la punition corporelle est également à prendre en considération. Bien qu’elle soit associée à une forme de violence mineure, les risques d’escalade de la punition corporelle à la violence physique sévère sont élevés. La recherche montre que les enfants soumis à des punitions corporelles sont de 2 à 10 fois plus susceptibles de subir de la violence physique sévère, et ce, même en bas âge. Les données tirées de l’enquête La violence familiale dans la vie des enfants du Québec révèlent qu’en 2018, environ 7,1 % des mères et 12 % des pères de tout-petits trouvaient acceptable qu’un parent tape un enfant lorsque celui-ci est provocant, désobéissant ou violent. Ces données révèlent également qu’environ 3,6 % à 7,3 % des mères et environ 5 % à 10,3 % des pères d’enfants de 6 mois à 5 ans sont fortement ou plutôt en accord avec différentes affirmations concernant le bien-fondé de la punition corporelle en 2018. De manière générale, ces proportions ont toutefois suivi une tendance à la baisse au cours des dernières années.

Tous les types de familles sont à risque

Les situations de violences familiales ne se produisent pas que dans les familles qui vivent dans des conditions socioéconomiques difficiles. L’enquête La violence familiale dans la vie des enfants du Québec (2018) révèle en effet que les enfants de 6 mois à 5 ans les plus susceptibles d’être victimes d’agressions psychologiques répétées sont ceux dont la mère a atteint un niveau de scolarité plus élevé (44 %) ou détient un emploi (43,6 %).

Agir sur les facteurs de risque pour prévenir la maltraitance

Plusieurs mesures sociales ont démontré leur efficacité ou se sont avérées prometteuses pour agir sur les facteurs de risque et prévenir la maltraitance :

Favoriser l’accès à des logements et à des milieux de vie de qualité 
Une corrélation existe entre le surpeuplement de la résidence familiale et le nombre de fois où un parent rapporte avoir frappé ou giflé un de ses enfants au cours de la dernière semaine. Des études ont également observé une association entre la défavorisation du voisinage et la maltraitance.
Renforcer le soutien économique aux familles
Les enfants issus de milieux défavorisés, mais dont la famille peut bénéficier d’un programme d’aide sociale, sont moins susceptibles de faire l’objet d’un signalement retenu par les services de protection de la jeunesse. L'aide financière pourrait diminuer la probabilité qu'un enfant fasse l'objet d'un signalement aux services de protection de la jeunesse. Les programmes visant à réduire l'insécurité alimentaire ont également démontré leur efficacité pour diminuer les risques qu'un enfant fasse l'objet d'un signalement retenu. Les crédits d'impôt pour les familles avec enfants, l'aide au logement et les politiques de conciliation famille-travail sont d'autres pistes pour mieux soutenir économiquement les familles.
Soutenir les parents
Les enfants suivis par un professionnel formé pour détecter la maltraitance et pour accompagner les parents dans leur rôle sont moins susceptibles d’être victimes de maltraitance ou de subir des agressions physiques mineures et psychologiques.
Offrir des services éducatifs à la petite enfance de qualité
En offrant de la stimulation et de l’encadrement aux enfants de même qu’un répit et un soutien aux parents, les services éducatifs à la petite enfance de qualité pourraient contribuer à réduire le risque de mauvais traitements.
Agir sur les normes sociales pour promouvoir des pratiques parentales positives
Le recours à la punition corporelle est moins fréquent et les méthodes disciplinaires non violentes sont plus utilisées dans les pays qui ont adopté une loi contre toute forme de punition corporelle. Ces lois peuvent avoir une incidence sur la maltraitance, car la frontière entre la punition corporelle et l’abus est mince. Puisque les risques d’escalade sont élevés, une punition corporelle peut rapidement devenir de la violence physique sévère.

Design graphique : GB Design

Références: 

40 ans d'expertise pour bâtir l'avenir - Bilan des directeurs de la protection de la jeunesse / directeurs provinciaux 2019.

Institut de la statistique du Québec (2018). La violence familiale dans la vie des enfants du Québec - Rapport d’enquête 2018. Les attitudes parentales et les pratiques familiales

Observatoire des tout-petits (2017). Violence et maltraitance : Les tout-petits québécois sont-ils à l’abri ? Montréal, Québec, Observatoire des tout-petits.

Observatoire des tout-petits (2019). Dans quels environnements grandissent les tout-petits du Québec ? Portrait 2019. Montréal, Québec : Fondation Lucie et André Chagnon.

Gagné, Marie-Hélène et coll. (2017). Les mesures collectives et les politiques publiques qui contribuent à prévenir la maltraitance des enfants de 0 à 5 ans, Québec, Québec : Université Laval.

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