Combattre sans merci le virus de la maltraitance envers les enfants
Camil Bouchard est chercheur en psychologie communautaire et a mené des recherches en épidémiologie de la maltraitance envers les enfants. Il a rédigé et signé un rapport qui influencera de nombreuses politiques familiales et sociales au Québec: «Un Québec fou de ses enfants». Il dresse ici un bilan de la situation de la maltraitance infantile au Québec et propose des mesures pour la prévenir.
En 1991, le rapport Un Québec fou de ses enfants fixait un objectif de réduction des mauvais traitements envers les enfants de l’ordre de 50 %. Les données dont nous disposions alors étaient pour le moins bancales, mais suffisamment alarmantes pour justifier une telle proposition. Nous avons considérablement amélioré les suivis depuis et, invariablement, les taux de signalements n’ont cessé d’augmenter annuellement. Nous assistons à un accroissement intolérable de 73 % de cas retenus dans les 20 dernières années seulement. L’an dernier, nous avons franchi le seuil annuel des 105 000 signalements traités pour les 0 à 17 ans. Si bien que les DPJ sont littéralement assiégées et trop souvent incapables de répondre convenablement aux besoins des enfants qui leur sont confiés. Les témoignages répétés à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse parlent d’eux-mêmes. Que faire alors?
D’abord, le Québec doit se doter d’une politique nationale de lutte contre la maltraitance envers les enfants. Cette politique devrait fixer un objectif annuel de réduction des taux de maltraitance selon un échéancier public et garantir les ressources de prévention nécessaires pour atteindre cet objectif. Un tel engagement nous obligerait à rehausser considérablement les services de proximité et de prévention auprès des familles les plus vulnérables. C’est là que nous pouvons faire une vraie différence.
Pour y arriver, cette politique doit désigner une personne capable de rassembler toutes les ressources présentes dans les communautés mobilisées autour de cet objectif de réduction des taux de maltraitance. Cette personne, c'est le directeur régional de la santé publique. Et pour cela, nul besoin de créer une nouvelle structure. La Loi sur la santé publique prévoit déjà, à l’article 55, que le directeur régional de santé publique dispose de tous les pouvoirs nécessaires pour « demander formellement aux autorités dont l’intervention lui paraît utile de participer avec lui à la recherche d’une solution […] Les autorités ainsi invitées sont tenues de participer à cette recherche de solution ». Ce type de leadership exercé par les directeurs régionaux de santé publique, capables de définir clairement le rôle de chaque intervenant dans l’atteinte d’un objectif commun, me paraît absolument indispensable.
Il faut rehausser considérablement les services de proximité et de prévention auprès des familles les plus vulnérables. C’est là que nous pouvons faire une vraie différence.
La population doit aussi se mobiliser autour de cette mission de bienveillance envers les enfants. Elle doit être informée de l’état de la situation, alertée ou rassurée lorsque nécessaire, et engagée dans une lutte affirmée contre les mauvais traitements et la négligence envers ses enfants. Les médias doivent aussi faire état de cet enjeu de communication sociétale avec constance et rigueur tant à l’échelle nationale que régionale.
Deux autres éléments me semblent incontournables. D’abord, il faut assurer la qualité de la formation de tous les intervenants sanitaires, sociaux et communautaires à partir de programmes fondés sur des données probantes témoignant de leurs retombées dans la poursuite des objectifs de la politique tant à l’échelle locale que nationale. Ensuite, les disparités régionales dans les taux de signalements doivent mener à plus d’équité dans le financement des efforts de mobilisation dans les régions les plus durement touchées par la maltraitance envers leurs enfants.
Le coronavirus qui nous hante fait la démonstration de notre capacité à nous mobiliser dans un effort national de protection de la santé. La maltraitance envers les enfants n’est pas autre chose qu’une épidémie sociale dont nous prenons enfin la pleine mesure. C’est avec la même vigueur et le même élan qu’il nous faut enfin contrer ce virus de la maltraitance envers les enfants.
Photo : Ulysse Lemerise