Observatoire des tout-petits

Chroniques
27 mai 2024

Réseau des services de garde éducatifs à l’enfance : un enjeu d’équité financière pour les familles

	Réseau des services de garde éducatifs à l’enfance : un enjeu d’équité financière pour les familles
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Photo de Geoffroy Boucher
Geoffroy Boucher
Économiste à l'Observatoire québécois des inégalités et consultant en politiques publiques

Au Québec, on comptait en mars 2024 un peu plus de 300 000 places offertes aux tout-petits dans le réseau des services de garde éducatifs à l’enfance régis par le ministère1. De ce nombre, une place sur cinq (20 %) était offerte dans une garderie privée non subventionnée ou un service de garde en milieu familial non subventionné1. Cette situation soulève des enjeux d’équité financière entre les familles québécoises. On en discute avec Marjorie Peyric, de l’organisme Ma place au travail.

Au Québec, le crédit d’impôt remboursable pour frais de garde d’enfants doit, en principe, pallier l’écart de tarif entre un service de garde subventionné2 et un service de garde non subventionné. Cependant, un plafond vient limiter le montant qui peut être remboursé aux parents. En 2024, ce plafond est fixé à 11 935 $, ce qui correspond à un tarif quotidien de 45,90 $ pour un enfant fréquentant un service de garde non subventionné à temps plein.

Or, selon un échantillonnage effectué par le Protecteur du citoyen, 78 % des places sur le site web La Place 0-5 affichaient un tarif supérieur à ce montant3. Selon la ministre de la Famille du Québec, Suzanne Roy, les tarifs dans les services de garde non subventionnés peuvent atteindre jusqu’à 80 $ par jour4. L’écart de tarif dont bénéficient les parents d’un enfant fréquentant un milieu de garde subventionné et un milieu de garde non subventionné peut donc être considérable.

« De nombreux parents nous contactent pour nous faire part de leur détresse. On parle ici d’une inégalité immense entre les familles québécoises. Quand on sait que la très grande majorité de celles-ci privilégieraient les milieux de garde subventionnés, mais doivent se rabattre sur les milieux non subventionnés faute d’accessibilité du réseau, on parle du système lui-même qui crée ces injustices. » - Marjorie Peyric, coordinatrice aux communications et à la mobilisation, Ma place au travail

* Une place subventionnée inclut les places en installation de même que les places en milieu familial.

D’importantes disparités interrégionales

De plus, l’offre de places subventionnées varie largement sur le territoire québécois. Par exemple, dans les régions de Laval et de Montréal, elles représentent environ 70 % du nombre total de places offertes. En comparaison, elles représentent environ 90 % des places dans les régions de l’Estrie et du Centre-du-Québec et 100 % des places sur la Côte-Nord et en Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine.

La conversion en places subventionnées, une piste de solution

Afin d’éliminer cette iniquité, plusieurs organisations, chercheurs et experts ont proposé, à l’occasion de la consultation publique sur l’avenir du réseau des services de garde éducatifs à l’enfance, de convertir les milieux de garde non subventionnés en milieux de garde subventionnés7. Alors qu’une bonification du crédit d’impôt serait susceptible d’entraîner une nouvelle vague de hausses de tarifs au sein des services de garde non subventionnés8, la stratégie de la conversion pourrait s’avérer davantage efficace pour éliminer les iniquités financières entre les familles du Québec, selon Marjorie Peyric. La littérature scientifique indique d’ailleurs que le financement gouvernemental ou le fonctionnement à but non lucratif fait partie des conditions d’implantation qui favorisent la qualité des services éducatifs9, condition également privilégiée par le Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants développé par le gouvernement canadien.

« La conversion des places non subventionnées en places subventionnées est une solution théoriquement simple pour réduire efficacement les iniquités financières entre les familles québécoises. Il y a d’ailleurs un très grand nombre de garderies non subventionnées qui souhaitent le devenir et qui sont depuis longtemps en attente. Il faut que le rythme actuel de conversions s’accélère puisqu’il ne répond pas du tout à la demande actuellement. » - Marjorie Peyric

Dans le cadre du Grand chantier pour les familles, le gouvernement du Québec s’est engagé à convertir la totalité des places en garderies non subventionnées en places subventionnées d’ici 202510. En date du 31 mars 2024, 8 618 places ont été converties11.

L'importance de la qualité des services de garde éducatifs à l’enfance

Les services éducatifs à l’enfance peuvent avoir une influence sur plusieurs sphères du développement de l’enfant. Ils peuvent aussi faire en sorte que les enfants de familles à faible revenu soient moins susceptibles d’être vulnérables sur le plan de leur développement5.

Toutefois, pour voir les effets positifs sur le développement des enfants, les services éducatifs offerts aux tout-petits doivent être de qualité. Or, on observe au Québec que la qualité éducative varie entre les différents milieux de garde. Par exemple, selon un récent rapport du Vérificateur général du Québec, 30% des services de garde en installation dont la qualité éducative a été évaluée ont échoué à l’évaluation, une proportion qui atteint 59% dans les garderies non subventionnées, 57% dans les garderies subventionnées et 21% dans les CPE6. L’offre disparate de places subventionnées dans la province soulève donc également des enjeux d’équité dans l’accès à des services de qualité.

 

Photo de Geoffroy Boucher

Par Geoffroy Boucher

Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Depuis peu, il a rejoint l’Observatoire québécois des inégalités et agit également comme consultant en politiques publiques.

 

Notes de fin

  1. Ministère de la Famille, Tableau de bord du développement du réseau des services de garde éducatifs à l’enfance – Données au 31 mars 2024.
  2. En 2024, le tarif réduit est de 9,10$ par jour.
  3. Protecteur du citoyen (2023), « Inégalités des chances dès la petite enfance » dans le Rapport annuel 2022-2023.
  4. Journal des débats de l'Assemblée nationale, 43e législature, 1re session, le mercredi 1 novembre 2023 - Vol. 47 N° 75.
  5. Observatoire des tout-petits, Portrait des politiques publiques : Que faisons-nous au Québec pour nos tout-petits et leur famille?.
  6. Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2023-2024. Gouvernement du Québec, 2024.
  7. Ministère de la Famille (2021),  Consultation sur les services de garde éducatifs à l’enfance – Rapport de consultation.
  8. David Rémillard (2021), « Crédit d’impôt bonifié : des garderies vont en profiter pour hausser leurs tarifs », Radio-Canada Info, 27 novembre 2021.
  9. Observatoire des tout-petits. Petite enfance : la qualité des services éducatifs au Québec, Montréal, Québec, Observatoire des tout-petits, 2018.
  10. Coalition Avenir Québec, Une place en service de garde subventionné pour chaque enfant, 19 août 2022.
  11. Ministère de la Famille, Tableau de bord du développement du réseau des services de garde éducatifs à l’enfance – Données au 31 mars 2024.