Observatoire des tout-petits

Chroniques
26 mars 2024

Enfance et racisme : les tout-petits sont-ils bien soutenus?

	Enfance et racisme : les tout-petits sont-ils bien soutenus?
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Photo de Kathleen Couillard
Kathleen Couillard
Journaliste scientifique

Dès le préscolaire, les tout-petits peuvent être victimes de racisme et de discrimination. Des chercheurs souhaitent documenter le phénomène pour mieux le combattre.

On pense souvent que l’enfance est un monde d’innocence qui est préservé du racisme. Les tout-petits sont toutefois touchés très tôt par cette réalité, selon Gina Lafortune, professeure au Département d’éducation et formation spécialisées de l’UQAM. « Ils en sont rapidement conscients, même s’ils ne sont pas forcément capables de le nommer », explique-t-elle.

Les tout-petits peuvent être exposés au racisme dans les émissions qu’ils regardent ou dans les livres qu’on leur lit. Ils peuvent aussi observer ces comportements en milieu de garde, dans les fêtes d’enfants ou dans les interactions entre adultes.

« La recherche nous indique qu’à partir de trois ans, ils comprennent que tout le monde n’occupe pas la même place dans un groupe et que certaines personnes ne sont pas perçues de la même façon », souligne la professeure.

Dans une étude publiée en 2023 et réalisée en Nouvelle-Écosse, des scientifiques ont noté que dès l’âge de 18 mois, des enfants avaient vécu du racisme dans leur milieu de garde. Celui-ci s’exprimait par de la violence verbale, de l’intimidation et un traitement discriminatoire de la part d’éducateur-trices à la petite enfance.

« Quand on parle de racisme chez les tout-petits, on pense à des interactions entre enfants, comme des commentaires désobligeants sur la couleur de peau, souligne Mme Lafortune. Cependant, c’est beaucoup plus complexe. »

Le racisme qui touche les enfants est en fait un ensemble de comportements, de pratiques et de politiques qui sont ancrés dans les systèmes et les structures de notre société.

Étudier le racisme dès la petite enfance

Peu d’études se sont toutefois penchées sur la façon dont le racisme touche les jeunes enfants. « Généralement, on analyse davantage les dynamiques qui existent à l’école secondaire ou dans les milieux postsecondaires », confirme Gina Lafortune.

Pourtant, dans les recherches que la professeure a réalisées auprès d’adolescents, ces derniers ont confié avoir vécu des incidents de racisme ou de discrimination lorsqu’ils étaient à l’école primaire ou même au préscolaire. « Cela nous a amenés à penser qu’il fallait regarder à la source, là où les choses commencent à prendre forme, puisque cela a des impacts sur le reste du parcours scolaire », raconte Mme Lafortune.

C’est ainsi que son projet de documenter l’expérience des élèves noirs au préscolaire-primaire a vu le jour en 2022. Le projet de trois ans est subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et par l’Observatoire des communautés noires du Québec. « J’ai toujours adoré tout ce que je fais, mais ce projet me tient particulièrement à cœur », remarque la professeure.

Travailler avec la communauté

L’objectif du projet est de comprendre le quotidien des élèves noirs de même que les dynamiques de racisme qui peuvent les toucher. « Nous voulons non seulement documenter les formes que cela peut prendre, mais aussi les stratégies et les ressources qui sont en place, explique-t-elle. Nous cherchons à identifier ce qui est le plus porteur pour transformer les choses. »

Le projet se déroule actuellement dans trois écoles du Québec, mais l’équipe de Mme Lafortune vise un total de cinq écoles. « Dans une première étape, nous procédons à des observations dans tout l’établissement scolaire, mentionne Mme Lafortune. Nous regardons comment se passent les activités pédagogiques. » Son équipe se déplace partout dans l’école: la bibliothèque, la cour de récréation, le gymnase, le service de garde, etc.

Ensuite, les chercheurs rencontrent les parents qui sont volontaires de même que les enfants. « C’est le moment qui me passionne, confie Gina Lafortune. Nous ne parlons pas de racisme avec les enfants, mais nous utilisons le jeu et les activités créatives pour aborder avec eux les choses qu’ils aiment ou celles qu’ils n’aiment pas à l’école. »

Par la suite, l’équipe discute avec les enseignants et les autres membres du personnel à propos de ses observations pour avoir une perspective plus globale de la situation. Lorsque cela est possible, les organismes communautaires qui collaborent avec l’école sont également rencontrés. « Notre objectif, c’est que le projet ne soit pas porté uniquement par les chercheurs, mais par toute la communauté », remarque Gina Lafortune.

Des enfants isolés

Au cours des rencontres avec les élèves qui ont eu lieu jusqu’à présent, Gina Lafortune a été attristée de constater que les enfants ne sentent pas qu’ils peuvent compter sur le soutien des adultes. Certains pensent en effet que c’est à eux de résoudre les problèmes qu’ils vivent. « C’est terrible d’entendre de la part d’un enfant de 6 ou 7 ans que personne ne peut rien faire pour lui », remarque la chercheuse.

Certains enfants qui vivent du racisme connaissent aussi un sentiment d’injustice et de colère qu’ils ont toutefois du mal à nommer. « Si l’enfant manifeste cette colère, les adultes croient parfois qu’il s’agit de problème de comportements et ils vont le punir, déplore Gina Lafortune. Ses émotions se retournent donc contre lui. »

Cela est d’autant plus préoccupant que les effets du racisme et de la discrimination sont bien documentés.

« Il y a des impacts importants sur l’estime de soi des enfants et leur sentiment de bien-être dans les espaces éducatifs », remarque la professeure.

De plus, dans un rapport publié en 2022 par l’UNICEF, les auteurs notaient que l’intériorisation de stéréotypes négatifs associés à la discrimination raciale compromettait la réussite éducative de ces enfants plus tard.

Reconnaître le problème

Pour venir en aide aux tout-petits victimes de racisme ou de discrimination, il est important que les adultes soient à leur écoute et qu’ils ne les laissent pas porter ce fardeau seul.

« Chacun peut faire quelque chose à son niveau en se disant qu’il ne peut pas fermer les yeux, souligne Gina Lafortune. Les gens sont parfois gênés de parler de racisme, mais il est possible d’agir malgré cet inconfort. »

Le premier pas est d’ailleurs d’admettre que le phénomène existe, observe la chercheuse. « Il s’agit d’un problème qui a des répercussions sur l’ensemble de la société, remarque-t-elle. Il faut donc reconnaître que ce n’est pas uniquement le problème de ceux qui le vivent, en l’occurrence les tout-petits. »

 

Photo de Kathleen Couillard

Par Kathleen Couillard

Titulaire d’une maîtrise en microbiologie, Kathleen Couillard œuvre comme journaliste scientifique depuis plus de 10 ans. Elle a également occupé le poste de conseillère au transfert des connaissances à l’Observatoire des tout-petits pendant deux ans et demi. Elle collabore maintenant avec différents médias dont l’Agence Science-Presse, Naître et grandir, L’Actualité et Protégez-Vous. Elle s’intéresse plus particulièrement à tout ce qui touche la santé, la famille et le développement des enfants.