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16 janvier 2024

Accompagner les familles et réduire la dépendance envers la DPJ

	Accompagner les familles et réduire la dépendance envers la DPJ
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L’intervention de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) dans la vie d’un enfant devrait être exceptionnelle. Une récente étude montre qu’elle est au contraire beaucoup plus répandue que les spécialistes ne l’anticipaient, et invite à repenser la prévention pour les familles en situation de vulnérabilité.

On savait jusqu’ici que le nombre de signalements à la DPJ était en forte augmentation dans les 10 dernières années. La particularité de cette étude, menée par des chercheurs canadiens et américains, est d’avoir chiffré, sur une période de 17 ans (2000 à 2017), la proportion d’enfants québécois évalués ou pris en charge par le système de protection de la jeunesse.

Les conclusions sont frappantes. Près d’un enfant sur 5 a fait l’objet d’un signalement à la DPJ avant sa majorité. Un sur 10 a été pris en charge par ses services, et un sur 20 a été placé hors de son milieu familial.

Et le phénomène commence dès la naissance, révèle l’étude, publiée dans lInternational Journal of Environmental Research and Public Health.

Au Québec, de tous les enfants nés au cours d’une année, près de 2 sur 100 sont évalués par le système de protection de la jeunesse, explique Tonino Esposito, le chercheur principal du projet. « Ce sont 3% de la population de 0 à 5 ans qui vont déjà avoir été pris en charge, et plus de 1 sur 100 placé en milieu substitut. »

Négligence et précarité

Des résultats qui ont surpris le professeur à l’École de travail social de l’Université de Montréal.

« Je ne croyais pas voir ces chiffres-là, surtout parce que le Québec a quand même développé un modèle social progressiste », dit-il.

Parmi les cas traités par la DPJ, seulement la moitié est liée à de la violence physique ou des abus sexuels. Le reste des cas relève de la négligence, soit l’incapacité des parents à répondre aux besoins de base de leurs enfants (logement, nourriture, éducation, etc.), à laquelle peuvent s’ajouter des problèmes de santé physique ou mentale.

Les chercheurs se sont donc demandés pourquoi tant de cas de négligence, qui traduisent une précarité socio-économique, alors que le Québec s’est doté de services universels et d’un système de transfert de richesse pour diminuer les inégalités?

Un manque de suivi

En partie parce qu’il existe une sur-dépendance à l’égard de la DPJ, selon les chercheurs. Dans plusieurs états américains comme le Colorado ou le Vermont, la prévalence des signalements aux services de protection de la jeunesse est bien plus importante qu’au Québec, mais un énorme tri se fait en amont dans l’évaluation des dossiers : les cas de négligence sont rapidement redirigés vers d’autres services et organismes communautaires.

Dans ce système, « on prend en charge la famille et on s’assure qu’elle n’est pas juste référée aux services mais qu’elle commence à recevoir ces services-là : éducatifs, alimentaires, santé physique, santé mentale, toxicomanie », explique Tonino Esposito.

Un tel niveau de suivi n’existe pas au Québec, selon le chercheur. Le renvoi vers des services de première ligne a lieu plus tard dans le processus d’évaluation de la DPJ.

« Qu’arrive-t-il lorsqu'il n’y a pas de réponse au niveau des services communautaires ou des CLSC, parce qu’ils sont débordés ou que les familles ne font pas le suivi? Les cas reviennent en signalement », poursuit Tonino Esposito. 

Renforcer les ponts

Il y aurait donc des solutions à explorer pour renforcer les ponts entre la DPJ et les soins de première ligne. Un modèle similaire à l’exemple américain existe déjà au Québec pour les personnes atteintes de maladies chroniques, à qui on assigne une infirmière pour faire le lien avec les différents thérapeutes, dit-il.

Dans les cas de négligence, « il faut un intervenant social qui joue le même rôle pour ces familles-là » recommande Tonino Esposito.

Mais ce n’est pas tout. Pour une prévention plus efficace, l’iniquité géographique devrait aussi être combattue. Les données montrent que dans les quartiers où se concentrent les familles en situation de vulnérabilité socio-économique, la proportion d’enfants évalués, pris en charge ou placés par la DPJ est bien plus importante que dans les quartiers les plus nantis, souligne le chercheur. Et pourtant, c’est souvent là que les services manquent.

Rendre les services accessibles

« On doit commencer à se poser la question : en quoi les services universels sont universellement accessibles pour les familles? » interroge Tonino Esposito. « C’est dans les quartiers les plus défavorisés qu’on trouve des lacunes en matière de services de santé, communautaires, ou de services de garde éducatifs. »

La question de l’accessibilité invite enfin à réfléchir à de nouvelles manières de travailler afin de s’assurer que les services se rendent jusqu’aux familles, surtout dans les territoires à faible densité de population et auprès des populations autochtones. Les services de soutien familial qui agissent de façon préventive, en concertation avec la DPJ, vont dans ce sens, dit-il. Le modèle de la pédiatrie sociale en est un exemple. 

« Ce sont tous ces éléments-là qui doivent être mis en place, pas un au détriment de l’autre », conclut Tonino Esposito. « Rendu là, ce sont des enfants et des familles qui vivent continuellement des adversités. Rendu là, c’est déjà un enjeu de santé publique. »

 

Par Sandrine Rastello

 

Pour aller plus loin

Consulter les résultats de l’étude Childhood Prevalence of Involvment with the Child Protection System in Quebec: A Longitudinal Study, 2023

Découvrir notre dossier Web « Prévenir la maltraitance chez les tout-petits »

Découvrir le chapitre dédié à la prévention de la maltraitance de notre Portrait sur les politiques publiques