Observatoire des tout-petits

Chroniques
21 novembre 2023

Des besoins de base insatisfaits pour des milliers de tout-petits au Québec

	Des besoins de base insatisfaits pour des milliers de tout-petits au Québec
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Photo de Geoffroy Boucher
Geoffroy Boucher
Économiste à l'Observatoire québécois des inégalités et consultant en politiques publiques

Afin de se développer à son plein potentiel, chaque tout-petit devrait, entre autres, avoir droit à de la nourriture, des vêtements et un endroit sûr où vivre. Est-ce le cas au Québec? À l’occasion de la Grande semaine des tout-petits, nous avons demandé à notre chroniqueur économiste de faire le point sur la question.

Les participants de la 8e édition de la Grande semaine des tout-petits se réunissent du 20 au 26 novembre afin de faire le point sur le respect des droits des tout-petits au Québec. Parmi les sept droits identifiés, le droit à de la nourriture, des vêtements et un endroit sûr où vivre a une résonance particulière, car ce dernier est associé aux besoins de base les plus fondamentaux.  

Des revenus familiaux insuffisants

La question du revenu est centrale et déterminante dans la capacité des familles de répondre aux besoins de base des tout-petits tels que se nourrir, se vêtir et se loger. Selon les données de l’édition 2021 de l’Enquête canadienne sur le revenu, environ 3% des enfants âgés de 0 à 5 ans au Québec se trouvent dans un ménage en situation de faible revenu selon la mesure du panier de consommation (MPC)1. Ceci signifie qu’environ 15 000 tout-petits grandissent dans une famille dont le revenu après impôts et transferts gouvernementaux ne permet pas de se procurer un panier de biens et de services correspondant à un niveau de vie de base modeste.

Cette situation est préoccupante, car des études ont révélé que les enfants qui grandissent dans des ménages à faible revenu sont davantage susceptibles d’être vulnérables lors de leur entrée à l’école et ont un rendement scolaire plus faible en moyenne en première année2.

Elle constitue néanmoins une nette amélioration. En effet, en 2019, la proportion d’enfants âgés de 0 à 5 ans se trouvant dans un ménage en situation de faible revenu selon la MPC était d’environ 7%, et en 2015, de près de 16%. Cette diminution pourrait s’expliquer, entre autres, par l’instauration en 2016 de l’Allocation canadienne pour enfants et par les mesures d’aide financière d’urgence versées en 2020 et 2021 en raison de la pandémie.

Figure 1. Taux de faible revenu selon la Mesure du panier de consommation (MPC de l’année de base 2018) chez les enfants de 0 à 5 ans

Source : Statistique Canada, Enquête canadienne sur le revenu (2015-2021), fichiers maîtres. Adapté par l’Institut de la statistique du Québec. Note: Coefficient de variation entre 25 % et 33 % ; estimation imprécise, fournie à titre indicatif seulement.

La fin de ces mesures temporaires et l’importante croissance de l’inflation risquent toutefois d’assombrir ce portrait à partir de 2022. L’Enquête québécoise sur la parentalité révélait d’ailleurs qu’un parent d’enfant(s) âgé(s) de 0 à 5 ans sur quatre (25%) percevait ses revenus comme insuffisants ou très insuffisants pour répondre aux besoins de base de sa famille en 20223.

Cette situation pourrait également exacerber l’insécurité alimentaire chez les tout-petits. Déjà, en 2019-2020, près de 12% des ménages avec au moins un enfant âgé de 0 à 5 ans se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire marginale à grave, contre environ 8 % dans l’ensemble de la population québécoise4. Prédicteur de maladies chroniques, l’insécurité alimentaire durant la petite enfance est notamment associée à un plus haut risque de présenter des retards au niveau du développement cognitif, moteur et neurophysiologique5.  

Des disparités régionales en matière de logement

À l’échelle du Québec, près de 12 000 familles (3,2%) avec au moins un enfant de 0 à 5 ans vivaient dans un ménage ayant des besoins impérieux en matière de logement en 2021, contre environ 26 000 (7%) en 20166. Les besoins impérieux en matière de logement indiquent qu’une famille vit dans un logement qui ne rencontre pas le seuil d'au moins l'un des indicateurs de qualité, d'abordabilité ou de taille du logement.7

Ces chiffres à l’échelle nationale masquent toutefois des réalités régionales fort différentes. Par exemple, en 2021, la proportion de familles avec au moins un enfant de 0 à 5 ans ayant des besoins impérieux en matière de logement était de moins de 1% au Saguenay–Lac-Saint-Jean, alors qu’elle était de près de 6% à Montréal et de plus de 32% dans le Nord-du-Québec.

Protéger les droits des tout-petits, une responsabilité collective

À la lumière des données disponibles, le respect du droit des tout-petits à de la nourriture, des vêtements et un endroit sûr où vivre ne semble pas garanti pour les tout-petits au Québec. C’est la somme des politiques publiques, cohérentes entre elles, qui est la plus susceptible d’offrir à chaque tout-petit les outils dont il a besoin pour se développer pleinement8.

Comme le soulignait une soixantaine de signataires dans une lettre ouverte publiée en 2022 à l’occasion de la 7e édition de la Grande semaine des tout-petits, chaque tout-petit mérite d’être traité équitablement et avec justice.

 

Photo de Geoffroy Boucher

Par Geoffroy Boucher

Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Depuis peu, il a rejoint l’Observatoire québécois des inégalités et agit également comme consultant en politiques publiques.


Pour aller plus loin

Consulter la présentation PowerPoint qui réunit les quatre droits documentés par l'Observatoire à l'occasion de la Grande semaine des tout-petits 2023

En apprendre plus sur :


Sources
1. Coefficient de variation entre 25 % et 33 % (estimation imprécise). Donnée fournie à titre indicatif seulement.

2.Jean-Pascal Lemelin et Michel Boivin (2007). « Mieux réussir dès la première année : l’importance de la préparation à l’école », Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ 1998-2010), vol. 4, fascicule 2, Québec, Institut de la statistique du Québec, p. 1-12.
3. Institut de la statistique du Québec, Enquête québécoise sur la parentalité 2022.
4. Statistique Canada, Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes 2019-2020, adaptée par l’Institut de la statistique du Québec.
5. Janice Ke et Elizabeth Lee Ford-Jones (2015). « Food insecurity and hunger: A review of the effects on children’s health and behaviour », Paediatr Child Health, vol. 20, no 2, 2015, p. 89-91.
6. Statistique Canada, Recensements de population de 2006, 2016 et 2021. Adapté par l’Institut de la statistique du Québec.
7. Selon Statistique Canada, une personne ou une famille présente des besoins impérieux de logement lorsque le logement nécessite des réparations majeures (qualité inadéquate), qu’il ne compte pas le nombre suffisant de chambres à coucher en fonction du nombre d’occupants du logis (de taille non convenable) et que les frais de logement sont égaux ou supérieurs à 30 % des revenus bruts du ménage (inabordable).
8. Observatoire des tout-petits (2021). Que faisons-nous au Québec pour nos tout-petits et leur famille? Portrait des politiques publiques – 2021. Montréal, Québec, Fondation Lucie et André Chagnon, 2021.