Observatoire des tout-petits

Chroniques
25 janvier 2023

Vulnérabilité à la maternelle: comment se portent les tout-petits issus de l’immigration?

	Vulnérabilité à la maternelle: comment se portent les tout-petits issus de l’immigration?
Partager :
Photo de Kathleen Couillard
Kathleen Couillard
Journaliste scientifique

Les experts savent déjà que le processus d’immigration peut affecter le développement des tout-petits. Des intervenants sur le terrain sonnent toutefois l’alarme puisque la situation s’est beaucoup dégradée dans les dernières années.

Selon la dernière édition de l’Enquête québécoise sur le parcours préscolaire des enfants de la maternelle (EQPPEM), les enfants nés à l’extérieur du Canada sont plus susceptibles d’être vulnérables dans au moins un domaine de développement que ceux nés au Canada (33,6 % vs 27,7 %). C’est aussi le cas des enfants dont le parent seul ou les deux parents sont nés à l’extérieur du Canada (33,8 % vs 25,9 %). Certains domaines sont particulièrement touchés: le développement cognitif et langagier et les habiletés de communication et connaissances générales.

Andrée Mayer-Périard, directrice générale du Réseau réussite Montréal, croit toutefois que ces données qui datent de 2017 ne reflètent pas la gravité de la situation et elle attend avec impatience les résultats de l’EQPPEM 2022 qui seront disponibles à la fin de cette année.

Des tout-petits fragilisés

Le Réseau réussite Montréal est une concertation d’organismes qui se mobilisent pour favoriser la réussite éducative des jeunes à Montréal. « Nos partenaires scolaires nous disent que les enfants qui sont arrivés en maternelle 4 ans ou 5 ans cette année [2022-2023] sont vraiment beaucoup plus vulnérables qu’auparavant », souligne la directrice. Par exemple, certains enfants ont des problèmes de santé ou des problématiques non diagnostiqués parce qu’ils n’ont pas été vus récemment par un médecin. Certains ont également d’importants problèmes de développement.

« Le mandat de nos intervenants est habituellement de faire le lien entre l’école et la famille, explique Mme Mayer-Périard. Cependant, dans certains quartiers, ils doivent plutôt subvenir aux besoins de base des familles comme l’alimentation ou l’habillement. Ils ne peuvent même pas commencer à aborder le fonctionnement de l’école et du système éducatif. »

Cette plus grande vulnérabilité a aussi été observée par l’équipe de la Maison Bleue dont 80 % de la clientèle est issue de l’immigration.

« La francisation est vraiment plus difficile depuis les trois dernières années, raconte Manon Lapierre, directrice des opérations de l’organisme. Par exemple, on sait que certains enfants plus vieux qui sont suivis par des centres de pédiatrie sociale demeurent en classe d’accueil pendant deux ans alors qu’on parlait plutôt de trois à six mois auparavant. »

Un contexte difficile

Selon Andrée Mayer-Périard, le parcours migratoire des familles immigrantes est maintenant beaucoup plus difficile. Cette opinion est partagée par Manon Lapierre, en particulier lorsque l’immigration a eu lieu dans un contexte de guerre ou de déplacement de masse.

« Beaucoup de parents arrivent avec des chocs post-traumatiques causés par leur expérience migratoire, observe-t-elle. Ce stress est nécessairement transmis à leurs enfants. »

De plus, la lourdeur des procédures administratives s’est accentuée dans les dernières années. « Avant, entre l’arrivée au Canada et l’audition de la demande de réfugié, le délai était de 6 mois au maximum, explique Manon Lapierre. Maintenant, certaines familles peuvent attendre 4 ans sans savoir quel sera leur statut au Canada. » Cela augmente leur précarité et peut aussi nuire à leur accès rapide à une couverture médicale.

La pandémie a également compliqué le quotidien de ces familles. « Avec le confinement et les mesures sanitaires, nous ne pouvions pas inviter les couples à se présenter aux activités de la Maison Bleue  », se rappelle Manon Lapierre. De plus, les mères se retrouvaient parfois en isolement à la maison. Tout cela pouvait donc nuire à l’intégration de ces familles.

L’accès aux services de garde éducatifs

Selon le ministère de la Famille, les enfants des demandeurs d’asile ne sont pas admissibles à une place subventionnée dans un service de garde éducatif, et ce même si le parent dispose d’un permis de travail. Les demandeurs d’asile ont toutefois droit aux services de garde non subventionnés et aux activités des haltes-garderies communautaires, peut-on lire sur le site du Gouvernement du Québec.

« Une famille qui n’a pas accès aux services de garde subventionnés doit payer le plein tarif, déplore Manon Lapierre. À 30 $ par jour, cela limite l’accès pour les parents qui n’ont pas de permis de travail. »

Le manque d’accès à des milieux de garde éducatif a un impact direct sur le développement de ces enfants. « Cela fait en sorte qu’ils ont moins d’opportunités de socialiser à l’extérieur du cercle familial et d’apprendre le français, explique Manon Lapierre. Ils sont aussi soumis au stress de leurs parents. » Ces enfants arrivent donc à la maternelle avec peu ou pas de routine sociale, selon elle.

Les enfants qui ne fréquentent pas un service de garde éducatif peuvent également être exposés à moins d’activités de stimulation par manque de ressources. « Un enfant qui n’a jamais vu de ciseaux de sa vie ne pourra pas découper une ligne droite du premier coup », illustre Manon Lapierre.

Des solutions

Il est essentiel que les tout-petits issus de l’immigration aient accès facilement à des services de garde éducatifs. En effet, selon des données recueillies à Montréal en 2012, les enfants nés à l’extérieur du Canada qui ont fréquenté exclusivement un CPE sont 5 fois moins susceptibles d’être vulnérables dans au moins un domaine du développement que ceux qui n’ont fréquenté aucun service éducatif.

Selon Manon Lapierre, l’accès à des services de garde subventionnés est bénéfique pour toute la famille. C’est pourquoi la priorité numéro un des décideurs devrait être de donner aux demandeurs d’asile accès aux services de garde subventionnés, souligne-t-elle.

« Le portrait type des familles desservies par la Maison Bleue, c’est une maman qui reste à la maison avec ses enfants parce qu’elle ne peut pas les envoyer à la garderie et un papa qui travaille beaucoup d’heures, s’il a un permis de travail, pour arriver à payer un loyer inadéquat ». Manon Lapierre, directrice des opérations de La Maison Bleue

Les enjeux liés à l’immigration sont toutefois nombreux. « Lorsqu’on parle de ces enfants, l’équation est tellement complexe qu’il faut vraiment prendre le temps de faire le tour de la question pour identifier les problématiques », remarque Andrée Mayer-Périard.

Pour y arriver, selon elle, il faudrait davantage d’agents de proximité qui peuvent aller vers ces familles, les accompagner dans leur intégration et coordonner les ressources qui sont disponibles pour eux. Elle recommande donc de s’assurer que les intervenants qui œuvrent auprès de ces familles aient les moyens pour échanger des informations, travailler ensemble et se concerter.

Photo de Kathleen Couillard

Par Kathleen Couillard

Titulaire d’une maîtrise en microbiologie, Kathleen Couillard œuvre comme journaliste scientifique depuis plus de 10 ans. Elle a également occupé le poste de conseillère au transfert des connaissances à l’Observatoire des tout-petits pendant deux ans et demi. Elle collabore maintenant avec différents médias dont l’Agence Science-Presse, Naître et grandir, L’Actualité et Protégez-Vous. Elle s’intéresse plus particulièrement à tout ce qui touche la santé, la famille et le développement des enfants.

Pour aller plus loin

Lire notre rapport thématique sur l’importance de la qualité, de la stabilité et de la continuité entre les milieux de vie des tout-petits