Observatoire des tout-petits

Chroniques
14 juin 2023

Logements mal adaptés aux écarts de température : une question de justice environnementale pour les tout-petits

	Logements mal adaptés aux écarts de température : une question de justice environnementale pour les tout-petits
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Photo de Geoffroy Boucher
Geoffroy Boucher
Économiste à l'Observatoire québécois des inégalités et consultant en politiques publiques

Les tout-petits sont particulièrement vulnérables aux perturbations climatiques. Or, au Québec, un ménage avec enfants sur cinq vit dans un logement inadéquat en matière d’efficacité énergétique. Nous discutons de cette situation préoccupante avec Marianne-Sarah Saulnier de l’Observatoire québécois des inégalités et Sabaa Khan de la Fondation David Suzuki. 

Selon les données de l’Enquête canadienne sur le logement de 2021, 16% des ménages québécois sont insatisfaits ou très insatisfaits de l’efficacité énergétique de leur logement. Cette proportion atteint 20% chez les ménages qui ont des enfants entre 0 et 17 ans, signe que de nombreux tout-petits au Québec sont à risque de grandir en situation de précarité énergétique.

On parle de précarité énergétique lorsqu’une famille n’a pas les moyens d’accéder à des services énergétiques résidentiels adéquats – tels que le chauffage, la climatisation, ou l’électricité – pour maintenir une température ambiante confortable et répondre à ses besoins de base. L’efficacité énergétique, quant-à-elle, réfère au rapport entre l’énergie consommée par les occupants d’un bâtiment et l’énergie dépensée par le bâtiment lui-même. Un logement bien isolé et nécessitant peu d’énergie, par exemple, pourrait être qualifié d’énergiquement efficace.

Un risque plus élevé chez les moins nantis

On constate que les tout-petits qui grandissent dans des familles à faible revenu sont davantage à risque d’être en situation de précarité énergétique que ceux vivant au sein de familles plus fortunées.

Alors que l’insatisfaction au regard de l’efficacité énergétique est de 12% chez les familles se trouvant dans le quintile supérieur de la distribution des revenus – soit les 20% les plus riches de la population –, elle atteint 24% chez les familles se trouvant au bas de la distribution de revenu, soit le double.

Figure 1. Proportion des ménages avec enfants insatisfaits ou très insatisfaits au regard de l'efficacité énergétique de leur logement selon le quintile de revenu, Québec, 2021

Note : Le niveau d’insatisfaction chez les ménages du quintile inférieur de la distribution de revenu (24%) est plus faible que chez les ménages du second quintile (26%). Ceci s’explique par la forte proportion de ces ménages qui habite dans des logements sociaux – où la satisfaction au regard de l’efficacité énergétique est significativement plus élevée que dans les logements privés (66% contre 39%).

Source : Statistique Canada, Fichier de microdonnées à grande diffusion de l’Enquête canadienne sur le logement de 2021.

Des risques pour la santé

Ce constat est préoccupant, d’autant plus que les données de santé publique révèlent que les tout-petits font partie des groupes de la population les plus vulnérables aux changements climatiques, notamment aux phénomènes d’îlot de chaleur, de vague de chaleur et de pollution atmosphérique.

« Ce qu’on voit dans la littérature, c’est que les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables. La précarité énergétique peut aggraver des problèmes de santé existants, entraîner de nouvelles maladies et avoir des conséquences à long terme sur le développement des tout-petits. » – Marianne-Sarah Saulnier, chercheuse à l’Observatoire québécois des inégalités

Grandir dans un logement mal adapté aux écarts de températures peut ainsi comporter des risques importants pour la santé physique, mais également pour la santé mentale, le bien-être, l’inclusion sociale et la réussite éducative. « À la maison, les enfants qui vivent dans des logements mal adaptés peuvent également avoir plus de difficulté à se concentrer sur leurs devoirs, ce qui peut influencer leur réussite scolaire, » souligne Mme Saulnier.

Une question de justice environnementale

Ces disparités en termes de précarité énergétique soulèvent des questions de justice environnementale. Tel que souligné dans le rapport Pour une justice environnementale québécoise dirigé par Sabaa Khan, directrice générale pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation David Suzuki, les changements climatiques exacerbent les inégalités sociales existantes en matière de santé et créent des conditions propices à l’émergence de nouvelles inégalités.

Malheureusement, les initiatives mises en place pour favoriser la transition énergétique ne tiennent pas toujours compte des impacts sociaux et des effets variables sur les différents groupes de la population. Dans ce contexte, certaines mesures peuvent parfois contribuer à augmenter les iniquités. Efficacité énergétique Canada souligne d’ailleurs que peu de programmes d’efficacité énergétique ciblent spécifiquement les ménages à faible revenu. Par exemple, les subventions aux rénovations vertes tendent à échapper aux ménages à faible revenu puisque ceux-ci sont majoritairement locataires. Ce type de programme ne parvient donc pas à améliorer véritablement la situation des ménages habitant des appartements mal isolés.  

Des pistes d’action pour une plus grande équité face aux changements climatiques

Selon Sabaa Khan, l’heure est à l’action. Pour obtenir des résultats plus efficaces et durables en matière d’adaptation aux changements climatiques, il est essentiel de mieux documenter les situations d’injustices environnementales et de soutenir davantage la participation des personnes vulnérables dans la prise de décision environnementale.

« Le Québec était à l’avant-garde lorsqu’il a inclus [en 2006] le droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité dans la Charte des droits et libertés de la personne. Pour demeurer à l’avant-garde, il doit aller plus loin et rendre ce droit effectif. […] Pour y parvenir, il faut que toutes les décisions en matière d’environnement soient prises sous le prisme de l’équité. » – Sabaa Khan, directrice générale pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation Suzuki

Voici quelques exemples d’initiatives qui permettraient une plus grande équité, selon Marianne-Sarah Saulnier :

  • des programmes de rénovation et de construction écoénergétiques de bâtiments résidentiels qui ciblent directement les populations vulnérables
  • des initiatives visant à accroître la canopée dans les quartiers défavorisés
  • l’installation de jeux d’eau permettant aux enfants de se rafraîchir.
Photo de Geoffroy Boucher

Par Geoffroy Boucher

Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Depuis peu, il a rejoint l’Observatoire québécois des inégalités et agit également comme consultant en politiques publiques.


Pour aller plus loin

Lire la lettre ouverte de notre directrice, Fannie Dagenais, sur la questions des inégalités environnementales

Consulter le rapport de la Fondation David Suzuki, Pour une justice environnementale québécoise