Politique familiale québécoise : comment éviter les inégalités?
La politique familiale québécoise aura bientôt 25 ans. Dans un article mis en ligne récemment, Sophie Mathieu et Diane-Gabrielle Tremblay, chercheuses à l’Université Téluq, s’intéressent à son évolution depuis 1997 et s’interrogent sur son caractère universel. Un questionnement qui pourrait prendre tout son sens en temps de pandémie.
À la fin des années 1990, malgré une tendance à la privatisation des sociétés d’État et à l’assainissement des finances publiques, le gouvernement de Lucien Bouchard publie son livre blanc, Nouvelles dispositions de la politique familiale: les enfants au coeur de nos choix. « Ces changements ont comme objectif de faciliter la conciliation travail-famille, de favoriser le développement des enfants dans une perspective d’égalité des chances et d’effectuer une réforme du soutien financier aux familles », soulignent les chercheuses. Trois programmes verront ainsi le jour: le réseau des services de garde éducatifs, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) et un nouveau système d’allocations familiales offertes aux familles démunies.
Sans remettre en question la « singularité de la politique familiale québécoise dans son contexte nord-américain, ou son succès et ses apports pour les parents », Sophie Mathieu et Diane-Gabrielle Tremblay notent que celle-ci n’est pas aussi universelle qu’elle le paraît. « En dépit du penchant social-démocrate de la politique familiale québécoise, certaines familles (...) reçoivent un soutien moindre du gouvernement », écrivent-elles. Globalement, leur analyse révèle que l’aide offerte par la politique familiale est conditionnelle à l’activité économique des parents et que cela pourrait créer un clivage entre les familles qui la « méritent » et celles qui ne la « méritent pas ».
Certains enfants désavantagés
Bien que le réseau des services de garde éducatifs a permis à 70 000 femmes d’investir le marché du travail, il a créé certaines inégalités. Par exemple, pendant la période 2015-2019 où le tarif était modulé selon le revenu des parents, les chercheuses soutiennent que les tout-petits ne semblent pas avoir tous la même « valeur » puisque le montant à débourser varie pour les enfants d’une même famille qui fréquentent un service de garde subventionné.
De plus, les familles qui n’utilisent pas de service de garde n’ont pas droit à un soutien financier. « Cette observation est particulièrement discriminatoire, compte tenu du fait que les enfants issus d’un milieu défavorisé sont aussi proportionnellement moins nombreux à fréquenter un service éducatif que les enfants de familles mieux nanties », déplorent-elles. Par ailleurs, elles ajoutent que ce ne sont pas tous les enfants qui ont accès à un service de garde subventionné au Québec et que les différents types de milieux ne sont pas égaux sur le plan de la qualité.
Pour ce qui est du RQAP, il est incontestable que ce programme québécois fournit un meilleur accès à un congé parental payé que dans les autres provinces canadiennes, en particulier pour les familles à faible revenu. Toutefois, encore là, on ne peut pas parler d’un accès universel, selon Sophie Mathieu et Diane-Gabrielle Tremblay.
D’une part, l’admissibilité dépend de la participation au milieu de l’emploi. Les assistés sociaux et les étudiants avec des prêts et bourses n’ont donc pas droit aux prestations. « De plus, en raison de la logique assurantielle du programme de congés parentaux, les inégalités vécues sur le marché du travail sont reproduites pendant la période au cours de laquelle un parent reçoit des prestations », écrivent-elles. Enfin, elles observent que les familles monoparentales, homoparentales et adoptives sont désavantagées par rapport aux autres.
Une pandémie qui amplifie les inégalités
Selon les chercheuses, « le soutien inégal de l’État envers toutes les familles et qui découle des fissures dans l’architecture de la politique familiale québécoise se révèle clairement à la lumière de la pandémie de COVID-19 ». Par exemple, lors de la mise en place des services de garde d’urgence au printemps dernier, seuls les milieux subventionnés ont pu offrir des places. « La crise liée à la pandémie pourrait faire disparaître jusqu’à 53% des places disponibles dans les garderies commerciales, laissant bon nombre de parents sans service de garde pour leur enfant », s’inquiètent-elles.
La pandémie a également des répercussions sur l’admissibilité au RQAP. « Considérant à la fois la montée fulgurante du chômage au Québec et la récession à l’horizon, certains futurs parents exclus du marché du travail pourraient être exclus du Régime québécois d’assurance parentale, ou, dans le cas d’une diminution de salaire, voir leurs prestations réduites », expliquent-elles.
L’analyse réalisée par Sophie Mathieu et Diane-Gabrielle Tremblay tombe donc à point et permet de réfléchir aux effets de la politique familiale sur les tout-petits au Québec. Cette réflexion pourra contribuer à ce que les gouvernements identifient les meilleures façons possibles de soutenir l’ensemble des familles sans augmenter les inégalités, pendant et après la pandémie.
Par Kathleen Couillard
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