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7 décembre 2020

Maternelles : un nouveau programme qui mise sur le développement global et la prévention

	Maternelles : un nouveau programme qui mise sur le développement global et la prévention
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En 2021, le gouvernement du Québec rendra obligatoire le nouveau programme-cycle de l’éducation préscolaire, qui a pour mandat le développement global et la prévention, notamment, des difficultés d’apprentissage et de comportement. À peine adopté, ce programme suscite toutefois bien des débats entre les différents experts.

Le nouveau programme d’éducation préscolaire, qui fait couler de l’encre depuis son annonce, vient d’abord et avant tout harmoniser les trois programmes préscolaires existants pour la maternelle 4 ans à temps partiel et à temps plein et la maternelle 5 ans, en un seul programme-cycle. Le jeu reste au cœur du programme et toutes les dimensions du développement global de l’enfant – physique, moteur, affectif, social, langagier et cognitif - sont mises en valeur de manière égale. La nouveauté ? Dans la foulée des deux grandes politiques éducatives que sont la Politique de l’adaptation scolaire, adoptée sous François Legault en 1999, et la Politique de la réussite éducative, adoptée sous Sébastien Proulx en 2017, le programme va miser désormais sur la prévention. Celle-ci sera assurée par les enseignants en collaboration avec des orthopédagogues, des psychoéducateurs, des orthophonistes, des psychologues, etc.  « Ce double mandat de développement global et de prévention vise, entre autres, à identifier plus rapidement les difficultés de langage oral et à prévenir les problèmes d’apprentissage en lecture et de comportement, concrétisant ainsi la volonté québécoise d’agir tôt », précise Monique Bordeur, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM et présidente du Comité

Le programme en quelques lignes

En intégrant l’intervention précoce et la prévention dans le nouveau programme-cycle, le ministère de l’Éducation veut offrir à tous les enfants des chances égales de se développer dans différents domaines, pour réussir et apprendre tout au long de la vie.

Plus précisément, le mandat de l’éducation préscolaire est de :

  • Favoriser le développement global de tous les enfants en leur permettant de se développer dans tous les domaines (physique, moteur, affectif, social, langagier et cognitif) dans un milieu de vie sécurisant, bienveillant et inclusif, où ils peuvent cultiver le plaisir d’explorer, de découvrir et d’apprendre, mais aussi de s’approprier les bases de la scolarisation (routines de classes, activités, projets).
  • Mettre en œuvre des interventions préventives universelles et ciblées en collaboration avec les familles, les services de garde éducatifs, les services complémentaires et les services sociaux pour assurer une cohérence et une continuité des interventions. Concrètement, les enseignants devront offrir des activités spécifiques et régulières à tous les enfants afin de favoriser des apprentissages liés à la réussite scolaire, comme le langage oral, la lecture et l’écriture, les mathématiques, les habiletés sociales et l’autorégulation.

Le programme privilégie trois orientations :

  • Le jeu -  comme facteur de motivation qui permet à l’enfant de s’engager et de persévérer. Le jeu contribue également au développement des mathématiques, du langage oral et écrit, de l’autorégulation, de la concentration et des fonctions exécutives.
    • 2 périodes quotidiennes de 45 à 60 minutes de jeux libres, pendant lesquels l’enfant choisit à quoi il joue et avec qui.
    • des jeux extérieurs de qualité et diversifiés qui conviennent à son âge.
    • du jeu symbolique, amorcé par l’enfant et soutenu par l’adulte, pour permettre d’explorer, de créer, d’improviser, de jouer un rôle, de manipuler, etc.
  • L’observation du cheminement de l’enfant dans tous les domaines de développement, par les jeux libres et des activités dirigées.
  • L’organisation de la classe - les lieux physiques adaptés et sécuritaires, du matériel riche, diversifié, évolutif ainsi que des consignes claires, précises, constantes et cohérentes, qui favorisent la participation de chacun, l’exploration de divers jeux, les apprentissages scolaires et le développement de diverses habiletés.

La prévention au cœur du débat

« Il se fait déjà de la prévention au préscolaire, mais de façon inégale. De plus, peu de ressources sont disponibles pour accompagner les élèves en difficulté », explique Monique Brodeur. Selon la chercheuse en prévention des difficultés d’apprentissage en lecture à la maternelle, le nouveau programme-cycle vient donc légitimiser la prévention pour permettre aux enseignantes d’intervenir rapidement avec l’appui de professionnels comme les orthopédagogues ou autres intervenants scolaires ou sociaux. Il s’agit d’un pas important pour une école plus équitable.

« Plusieurs intervenants scolaires ont exprimé qu’il était temps qu’un tel programme arrive », ajoute celle qui a déjà été éducatrice en milieu défavorisé auprès d’enfants de la maternelle et du primaire, ainsi que psychoéducatrice et orthopédagogue en milieu scolaire primaire, auprès d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage et de comportement. Plusieurs élèves québécois ont des difficultés d’apprentissage ou de comportement, qui constituent les deux grands facteurs de risque pour le décrochage scolaire à 7 ans ».  En fait, 27,7 % des enfants de la maternelle étaient vulnérables dans au moins un domaine de développement, selon la dernière enquête sur le développement des enfants à la maternelle menée en 2017.

Mais tous les spécialistes de la petite enfance ne voient pas l’ajout de cette approche préventive d’un aussi bon œil.

« La dimension de prévention est trop présente et semble être un prétexte pour une approche scolarisante, qui va étiqueter l’enfant et lui mettre, dès un jeune âge, de la pression à performer », croit Maryse Rondeau, présidente de l’Association d’éducation préscolaire du Québec (AEPQ). « Nous ne sommes pas contre la prévention, loin de là, ajoute-t-elle. Mais je pense qu’il ne faut pas cibler les interventions par domaine de développement, car on risque de passer à côté d’autres problèmes ». Par exemple, l’enseignante croit qu’une difficulté langagière observée chez un tout-petit lors d’une activité spécifique n’est que la pointe de l’iceberg. « Il faut une approche globale pour identifier d’où vient cette difficulté. »

Selon l’AEPQ, c’est l’adulte qui doit entrer dans le monde de l’enfant, au niveau préscolaire. Les apprentissages contextualisés, par exemple dans les jeux libres initiés par l’enfant et soutenus par l’adulte, sont les plus importants. L’enseignant peut ainsi observer et donner des défis personnalisés pour qu’un tout-petit développe ses habiletés sociales, et apprennent à régler des conflits. « Dans le nouveau programme, c’est plutôt l’enfant qui entre dans le monde des adultes, lesquels ont l’obligation d’enseigner des notions précises pour favoriser les apprentissages académiques. C’est certain que ça laisse moins de place au jeu! », signale Mme Rondeau. Selon l’enseignante, le programme est trop rigide et ne permettra pas de sauver les enfants du décrochage.

Selon Monique Brodeur, toutefois, le programme offre un bon équilibre entre les jeux initiés par les enfants et ceux initiés par les adultes. « Il faut savoir que le programme prescrit ce qui doit être enseigné en laissant les enseignants libres de choisir les façons de faire. Il faut leur faire confiance ».

Le comité qu’elle préside contribuera à préparer l’implantation du programme et la formation initiale et continue des enseignants du préscolaire, en élaborant notamment un guide d’accompagnement et une plate-forme numérique. Il est important de souligner que la Fédération autonome de l’enseignement, la Fédération des syndicats de l’enseignement et l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec font partie de ce comité.

Ce qu’ils en disent

Plusieurs organisations se sont prononcées pour ou contre le nouveau programme-cycle de l’éducation préscolaire. En voici quelques-unes :

  • Selon un collectif formé de professeurs universitaires, de la Fédération autonome de l’enseignement, de la Fondation pour l’alphabétisation, de l’Institut des troubles d’apprentissage, de l’Association des orthopédagogues du Québec, de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec, de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec, de l’Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec, de l’Ordre des psychologues du Québec et du Regroupement des comités de parents autonomes du Québec, le nouveau programme préscolaire est un virage nécessaire qui vise à la fois le développement global et la prévention dans le but d’agir tôt. Ces experts soulignent que plusieurs études internationales et québécoises démontrent que d’instaurer des mesures de prévention de l’échec scolaire dès le préscolaire, en parallèle à des interventions qui favorisent le développement global, réduit significativement le nombre d’enfants ayant des difficultés en lecture ou de comportement.
  • Les experts chercheurs membres de l’Association d’éducation préscolaire du Québec (AEPQ), par contre, sont préoccupés par le double mandat que l’éducation préscolaire se fait imposer, soit le développement global et la prévention des difficultés d’apprentissage et de comportement avec un accent fort placé sur l’apprentissage des lettres. Selon eux, l’accent prédominant mis sur la prévention des difficultés d’apprentissage et de comportement dès le plus jeune âge va à l’encontre de l’approche développementale centrée sur les besoins de l’enfant. L’AEPQ soutient que les enfants de 4 à 6 ans progressent à des rythmes différents et que le nouveau programme ne tient pas compte de la diversité de leurs profils. Un outil créé par l'Association d'éducation préscolaire du Québec présente quelles sont leurs préoccupations.
  • À la fin octobre, la Fédération des syndicats de l’enseignement a également fait valoir sa position face au nouveau programme préscolaire. Elle croit qu’il n’y a pas de débat à trancher, car l’ajout du volet préventif ne s’oppose pas au développement global. Le nouveau programme reconnait les besoins des enfants qui présentent certaines difficultés et l’importance d’avoir recours à des services professionnels. Le jeu reste au cœur de l’apprentissage et toutes les dimensions du développement global sont mises en valeur de manière égale. La Fédération défend, également que le programme prescrit ce qui doit être enseigné mais que les approches pédagogiques reviennent à chaque enseignant.
  • La Fédération autonome de l’enseignement accueille aussi favorablement le nouveau programme d’éducation préscolaire, qui reconnait l’importance de poser des gestes concrets pour favoriser le développement global des élèves du préscolaire ainsi que de mettre en œuvre des interventions préventives basées sur des recommandations du personnel enseignant.
  • L’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec (Quebec Provincial Association of Teachers) appuie également le nouveau programme dont son mandat sur la prévention.         

Par Nathalie Kinnard