Rapport de la Commission Laurent : Prévenir plutôt que guérir
Après deux ans de travaux, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, sous la présidence de Régine Laurent, a déposé un volumineux rapport de plus de 500 pages. Le document comprend une soixantaine de recommandACTIONS et propose un virage majeur vers l’agir tôt, incluant une hausse du budget alloué à la prévention.
Les commissaires, composés d’experts et d’élus, prônent la mise en place d’un «véritable cercle de bienveillance autour de ses enfants» afin d’éviter que des drames, comme le décès d’une fillette de 7 ans à Granby à l’origine de la création de la Commission, ne se reproduisent. Le rapport propose aussi des recommanDACTIONS interdépendantes, qui doivent être mises en place pour offrir un accompagnement « précoce, intensif, continu et stable » aux enfants et aux familles.
« Il faut passer d’un Québec fou de ses enfants à un Québec digne de ses enfants.» - Extrait du rapport Laurent
La Commission avait déjà déposé ses premières recommandACTIONS, aussi axées sur la prévention, le 30 novembre dernier.
La prévention : au cœur des constats de la commission Laurent
- La nomination d’un Commissaire au bien-être et aux droits des enfants : Cette autorité se consacrerait exclusivement à la surveillance du bien-être et des droits de tous les enfants. Le Commissaire serait en poste pour 7 ans.
- La création d’une Charte des droits de l’enfant : Ceci enverrait un «message clair que l’enfant est une personne et un citoyen à part entière».
- Révision de la Loi sur la protection de la jeunesse: Cette nouvelle rédaction, dont la structure serait simplifiée et clarifiée, faciliterait son application. Le rapport recommande aussi de renforcer les droits à l’éducation et aux soins de santé pris en charge par le Directeur de la protection de la jeunesse.
- Promotion de la stabilité : Le rapport souligne l’importance de donner «une famille permanente», et ce le plus rapidement possible afin de lui donner la stabilité nécessaire pour son développement.
- Des services de proximité renforcés : Le rapport recommande de prioriser la bonification des services offerts en CLSC pour améliorer le soutien aux familles. Le rapport souligne aussi la nécessité d’accroître les services offerts en périnatalité et en petite enfance et d’améliorer l’accès aux services éducatifs à la petite enfance pour les tout-petits plus vulnérables.
- Des mesures pour éviter une application discriminatoire de la Loi sur la protection de la jeunesse envers les autochtones : Le rapport recommande la nomination, après consultation des représentants autochtones, d’un Commissaire adjoint consacré au bien-être et aux droits des enfants autochtones. Celui-ci resterait en poste jusqu’à ce que les nations autochtones choisissent de se doter de leur propre institution.
Synthèse complète des recommandACTIONS touchant de près ou de loin les tout-petits et leur famille
Nous avons recensé pour vous les principales recommandations qui touchent les tout-petits. Les recommandations sont regroupées en plusieurs grands thèmes dans le rapport complet et nous avons conservé ces thèmes ici.
- Adoption d’une Charte des droits de l’enfant pour souligner que l’enfant est une personne et un citoyen à part entière.
- Instauration d’une fonction de Commissaire au bien-être et aux droits de l’enfant, et d’un adjoint consacré aux enfants autochtones, nommés pour 7 ans par l’Assemblée nationale.
- Instauration de stratégies pour assurer l’accès et l’adaptation des services aux communautés ethnoculturelles.
- Proposition d’une réécriture, simplifié et claire pour en faciliter l’application, de la Loi sur la protection de la jeunesse.
- Inscrire et renforcer le droit aux soins de santé et à l’éducation pour les enfants pris en charge par la DPJ.
- Renforcer, rehausser et compléter les services en périnatalité et en petite enfance.
- Assurer des services de garde éducatifs aux enfants pouvant le plus en bénéficier.
- Renforcer le soutien offert aux jeunes et aux parents en CLSC.
- Compléter l’implantation de programmes qui ont fait leurs preuves pour répondre aux besoins chroniques de certaines familles, afin d’éviter, dans la mesure du possible, le recours à la protection de la jeunesse.
- Financer les organismes communautaires afin de leur permettre de réaliser leur mission, et ce, de manière récurrente et à long terme.
- Améliorer l’accès aux services de garde, trop peu fréquentés par les enfants en situation de vulnérabilité.
- Miser sur des services de prévention, de la grossesse jusqu’à la vie adulte. Les services doivent être organisés pour répondre aux besoins de toutes les familles et pour soutenir le développement de tous les enfants, tout en incluant des stratégies et des programmes adaptés pour rejoindre et aider efficacement les familles plus vulnérables.
- Rendre obligatoire la prise en compte de ce que l’enfant exprime concernant son avenir et son projet de vie.
- Planifier mieux et plus tôt un projet de vie alternatif pour l’enfant, dès qu’un risque est constaté concernant la possibilité de le maintenir dans sa famille ou de le retourner auprès d’elle.
- Assurer que, dans tous les cas, ce soit le critère de l’intérêt de l’enfant qui dicte toutes les décisions concernant son avenir.
- Faciliter le recours à l’adoption et à la tutelle pour les enfants, au terme des durées maximales d’hébergement, lorsque cela est dans leur intérêt.
- Soutenir d’une meilleure manière les familles d’accueil prêtes à s’engager auprès des enfants, en améliorant les collaborations avec elles, en les accompagnant davantage pour assurer le bon développement des enfants et en leur offrant une meilleure formation.
- Investir pour réduire les coûts sociaux et économiques liés à la maltraitance.
- Investir en prévention afin de diminuer les coûts reliés à l’offre de services spécialisés et surspécialisés.
- Financer les services à la hauteur des besoins réels des enfants et des parents en protection de la jeunesse, mais aussi assurer le financement les services spécialisés que ceux-ci requièrent.
- Assurer la continuité du financement à travers les cycles budgétaires.
- Accroître les services en périnatalité et en petite enfance.
Le premier ministre François Legault a annoncé la formation d’un groupe d’action interministériel sur la protection de la jeunesse. Ce groupe sera mené sous la responsabilité du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant. «On ne peut pas compter uniquement sur les DPJ pour régler les problèmes de maltraitance des enfants, au Québec; il faut agir par prévention. Cela veut dire aussi que tout le monde doit travailler ensemble : le CLSC, les groupes communautaires, les milieux de garde. Il faut cesser de travailler en silo.» - François Legault, premier ministre du Québec
Le gouvernement a aussi promis de réformer en profondeur la Loi sur la protection de la jeunesse à l’automne afin de répondre aux recommandations du rapport. «Quand je dis réforme, ce n’est pas anodin. C’est en profondeur que l’on doit revoir la loi, ainsi que le rôle et le fonctionnement des DPJ. » – Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux
«La Fondation Lucie et André Chagnon salue le travail de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Nous nous réjouissons que le rapport déposé par la Commission insiste sur la prévention et en fasse un projet de société. [...] La prévention de la maltraitance passe aussi par la prévention de la pauvreté et la réduction des inégalités. » - Jean-Marc Chouinard, président de la Fondation Lucie et André Chagnon
«Les recommandations de la Commission, bien que louables, ne lèvent malheureusement pas [l'ambiguïté liée à la dualité d'objectifs qu'entretient la Loi sur la protection de la jeunesse actuelle]. Alors que l’enfant est la personne la plus vulnérable dans les circonstances, [la Commission] ne prend pas partie clairement et sans équivoque en sa faveur.» - Camil Bouchard, ex-président du groupe de travail pour les jeunes et auteur de «Un Québec fou de ses enfants
«Dans le cadre du dépôt du rapport de la commission Laurent et dans le contexte extrêmement préoccupant de l’augmentation actuelle des cas de violence conjugale rapportés, il importe plus que jamais de réitérer l’importance d’agir tôt en appuyant nos actions sur les meilleures recherches disponibles tout en finançant d’autres recherches pour améliorer les connaissances et les pratiques.» – Isabelle Vinet, Directrice exécutive de l’encyclopédie sur le développement des jeunes enfants, Sylvana Côté, professeurs à l’école de santé publique de l’Université de Montréal, Richard E. Tremblay, professeur émérite de pédiatrie et de psychologie et Michel Boivin, professeur à l'École de psychologie de l'Université Laval«Les consultations de la commission, indépendante et non partisane, que vous avez instaurée, ont réuni une grande diversité d’acteurs œuvrant pour le mieux-être de la jeunesse. Les solutions proposées, par les 12 commissaires, ont été décortiquées, réfléchies et analysées. Elles doivent maintenant être appliquées, sans compromis. Cette application doit être viable et véritable, pour la sécurité et le développement des enfants. Le contraire serait un non-sens.» - Marie-Ève Brunet Kitchen, directrice générale de la Fédération québécoise des organismes communautaires familles
«À travers différentes recommandations – implanter l’avis de grossesse, rétablir les conditions d’efficacité des services intégrés en périnatalité et en petite enfance (SIPPE) et mieux financer les organismes communautaires, la Commission nous invite à emprunter ce chemin prouvé efficace pour réduire les inégalités. Il en sera tout autant de la prévention de la maltraitance.» - Élise Boyer, directrice générale de la Fondation Olo
« Ce qu’on souhaite le plus possible, c’est de prévenir les situations de maltraitance en resserrant le tissu social autour des familles. [...] Dans le contexte actuel, ça sera encore plus important de penser aux conditions de vie des familles sur lesquelles la pandémie a eu des répercussions, parce que ça augmente les risques. » - Fannie Dagenais, directrice de l'Observatoire des tout-petits
« En raison de leur flexibilité, les haltes-garderies communautaires sont aussi fréquemment sollicitées pour recevoir les enfants à risque référés par les CISSS/CIUSSS ou même directement par la DPJ, et en ce sens ont développé une expertise de pointe pour intervenir auprès des enfants vulnérables. Les haltes-garderies communautaires se distinguent aussi par leur approche parent, qui vise non seulement à répondre directement aux besoins de l’enfant mais aussi à tenir compte de son environnement familial et à renforcer la capacité d’agir des parents. Elles sont donc un partenaire de choix pour rehausser la prévention » - Extrait du communiqué de l’Association des haltes-garderies communautaires du Québec suite au dépôt du rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse«La Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ) est reconnaissante que la plupart de ses recommandations ont été retenues par la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (CSDEPJ) dans son rapport final, présenté hier. Il est indispensable, selon la Fédération, que tous les enfants du Québec, particulièrement les enfants en situation de vulnérabilité ou ayant des besoins particuliers, aient accès à un service éducatif à la petite enfance de qualité, régi et subventionné. Selon elle, le gouvernement doit tout mettre en œuvre pour y garantir l'inclusion de 100% des enfants vulnérables pour les protéger et pour leur permettre de développer leur plein potentiel, malgré leur contexte de vie.» - Extrait du communiqué de la Fédération des intervenants en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ) suite au dépôt du rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse
«L'Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec (OPPQ) est satisfait de constater que le rapport de la Commission Laurent est animé par un souci que les enfants puissent grandir dans une société bienveillante où la protection de l'enfance est une responsabilité partagée. Le rapport porte une attention particulière à la prévention de situations de maltraitance et souligne l'importance que les ressources oeuvrant en protection de la jeunesse aient l'expertise de pointe requise pour intervenir auprès de familles et d'enfants vivant des problématiques complexes.»- Extrait du communiqué de presse de l’Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec suite au dépôt du rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse
«Les membres du Comité de concertation adoption Québec (COCON) saluent le travail colossal réalisé par les commissaires de la CSDEPJ et souhaitent exprimer leur désir d'être partie intégrante de la mise en place des conditions favorables au bien-être des enfants au Québec, plus spécifiquement auprès de la triade adoptive (adopté.e.s - parents adoptants - parents d'origine). […] Comme mentionné par Mme Laurent, un virage prévention est obligatoire dans l'ensemble des services offerts aux familles et il est essentiel d'agir tôt afin de prévenir la maltraitance et l'adversité précoce faites aux enfants. Pour ce faire, il est nécessaire d'assurer un continuum de services afin de soutenir les enfants et les familles, et ce, même une fois l'adoption légalisée.» – Extrait du communiqué de la Confédération des organismes familiaux du Québec suite au dépôt du rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse.
«En tant que chercheurs et professionnels de la recherche en protection de la jeunesse, nous souhaitons ici mettre en lumière un enjeu inhérent à plusieurs recommandACTIONS du rapport Laurent et qui constitue, à notre avis, une condition essentielle à la réalisation et au suivi de plusieurs autres recommandACTIONS : l’importance de disposer de données fiables et pertinentes sur le portrait des enfants suivis par la DPJ et leurs trajectoires dans les services publics, afin d’améliorer en continu la réponse à leurs besoins.» - Sonia Hélie, Sophie Tremblay-Hébert, Vanessa Lecompte, Elisabeth Lesieux, Pascal Jobin et Véronique Noel, chercheurs et collaborateurs de l’équipe de recherche de l’Institut universitaire jeunes en difficulté
L'importance de la prévention pour assurer des services de protection de qualité
Que pouvons-nous faire, en tant que société, pour soutenir les familles les plus vulnérables au bon moment et ainsi éviter que des situations de maltraitance ne surviennent? Comment agir en amont pour que les familles soient soutenues au moment où un besoin se fait sentir? Écoutez les témoignages de Catherine Grégoire, une ancienne intervenante de la DPJ, et Annie Thériault, victime de maltraitance pendant sa petite enfance.