
Entretien avec André Lebon : La prévention de la maltraitance passe aussi par les conditions de vie

L’adage « Mieux vaut prévenir que guérir » résume bien l’essence du rapport de plus de 500 pages de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (Commission Laurent), déposé en mai 2021. Si le principe de prévention apparaît simple et essentiel, il reste beaucoup à faire pour agir efficacement dans le parcours des enfants.
« La meilleure prévention est celle qui agit le plus tôt possible auprès d’un enfant dans le besoin, au moment où les problèmes apparaissent, et qui permet de faire des ajustements durables. » - André Lebon, vice-président de la Commission Laurent.
Autant les nombreuses études scientifiques que les rapports de commissions diverses des 40 dernières années l’affirment : les premières années de vie sont déterminantes, et il importe d’agir dès que des signes de difficultés se présentent au sein des familles, afin de mieux les soutenir et ainsi réduire les risques que des situations de maltraitance ne surviennent.
Or, les nombreux témoignages entendus lors des travaux de la Commission, relate André Lebon, font plutôt état d’un effritement des programmes et des services gouvernementaux de proximité – ceux qui permettent une intervention précoce – et d’une incapacité de la part des différents intervenants à travailler en complémentarité pour le bien-être de l’enfant.
Comment agir en prévention?
Comme la majorité des signalements à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) concernent des problèmes chroniques liés aux conditions de vie du milieu familial, non pas à une action précise, la Commission suggère d’agir de manière préventive sur ces conditions de vie, dans lesquelles l’enfant forge son identité et franchit les étapes de son développement. Mais comment?
« En répondant aux besoins de base des familles comme l’accès à un logement salubre et abordable, la disponibilité d’une nourriture saine, un revenu adéquat et des services d’aide pour les problèmes de santé mentale. Tout ce qui permet d’alléger la détresse des mères et des pères favorise le maintien d’un milieu de vie sécuritaire et enrichissant pour l’enfant. On agit dès lors pour empêcher l’apparition de problèmes chroniques, ou on contribue à les résoudre », précise André Lebon.
Les intérêts de l’enfant au cœur de toute intervention
Le rapport de la Commission Laurent est clair : tous les secteurs et milieux entourant la vie des enfants – santé, école, CPE et garderies, justice, services sociaux et organismes communautaires – devraient travailler ensemble pour former un réseau d’accompagnement et de bienveillance autour de l’enfant.
« Plus ces services communiqueront, échangeront des renseignements pertinents sur l’enfant et développeront leur complémentarité, meilleures seront les interventions pour l’enfant et son développement », martèle André Lebon.
Le vice-président de la Commission déplore en outre que les principes de confidentialité des dossiers priment sur les intérêts de l’enfant. « Un enfant qui n’a pas de quoi déjeuner ou dont le père vient de sortir de prison vivra sans doute de la colère ou de la peur à l’école ou au CPE. L’enseignante ou l’éducatrice doit pouvoir connaître ce contexte pour comprendre le comportement de l’enfant et l’aider. »
À cet égard, André Lebon suggère à l’État québécois de s’inspirer des organismes communautaires qui agissent auprès des familles. « Ces organisations répondent aux vrais besoins de base des familles les plus fragiles et les plus défavorisées – vêtements, nourriture, poussettes, ateliers en périnatalité, diverses formations pour parents. Elles accompagnent les familles et les enfants durant plusieurs années, en effectuant des suivis. Les gens ont confiance en eux et ne craignent pas de les consulter », ajoute-t-il. La Commission plaide d’ailleurs en faveur d’un financement adéquat des organisations communautaires.
« Il faut donc commencer par investir dans les services de première ligne, en plus de réorganiser la façon de travailler pour favoriser une collaboration plutôt que de travailler en silo », poursuit André Lebon.
Il propose aussi la création d’un poste de « Commissaire au bien-être et aux droits des enfants » pour assurer que les décisions politiques et administratives sont prises en ayant toujours l’intérêt de l’enfant en toile de fond. « En fait, quand de bonnes conditions de vie familiale sont réunies, il y a peu de problèmes de développement et de maltraitance », conclut André Lebon.