Observatoire des tout-petits

Chroniques
10 septembre 2025

Sous pression : les conditions de travail et le stress chez les parents de tout-petits du Québec

Sous pression : les conditions de travail et le stress chez les parents de tout-petits du Québec
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Photo de Geoffroy Boucher
Geoffroy Boucher
Économiste et président de Décimal, analyses et politiques publiques

Les conditions de travail des parents peuvent avoir des effets significatifs sur le développement des tout-petits. Une analyse des conditions de travail des parents du Québec, récemment publiée par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), montre que malgré des progrès notables, un niveau de stress important demeure chez les parents de tout-petits.

Selon les données de l’Enquête québécoise sur la parentalité, en 2022, près d’un cinquième (19,1%) des parents ayant au moins un enfant de 0 à 5 ans affirmait avoir un niveau de conflit famille-travail élevé1. Or, un niveau élevé de conflits entre la vie familiale et professionnelle peut limiter la disponibilité psychologique des parents envers leur enfant, diminuant ainsi les occasions de partager des activités favorisant son développement2.
 
« Les parents très exposés aux conflits travail-famille se disent plus irritables, moins chaleureux et moins constants, et jouent moins souvent avec leurs enfants. Ils sont aussi plus à risque de crier, perdre patience et ressentir moins de satisfaction parentale, explique la directrice générale du Réseau pour un Québec Famille, Corinne Vachon-Croteau. Au contraire, un climat familial prévisible, chaleureux et engageant est un pilier du développement global des enfants. »

Une amélioration des conditions de travail des parents du Québec 

L’analyse récemment publiée par l’ISQ démontre une amélioration des conditions de travail des parents entre 2008 et 20233. Par exemple, la part de parents d’enfants de moins de 6 ans occupant un emploi atypique, c’est-à-dire un emploi à temps partiel, temporaire ou issu du travail autonome, est passée de 30,9 % en 2008 à 24,5 % en 2023. La proportion de parents occupant un emploi à bas salaire – soit un salaire inférieur aux deux tiers du salaire médian – a également diminué, passant de 14,7 % à 11,5 %. Enfin, la part de parents travaillant plus de 40 heures par semaine a reculé de 11,6 % à 8,2 %. 

Note : Les données présentées pour les parents correspondent à la moyenne des pères et des mères.
Source : Luc Cloutier-Villeneuve (2025). Les conditions de travail des parents. Évolution de 2008 à 2023, [En ligne], Québec, Institut de la statistique du Québec, 84 p. 

 
Cette tendance est encourageante, entre autres parce que le salaire des parents peut également jouer un rôle dans le développement des enfants âgés de 0 à 5 ans. Ainsi, selon les donn
ées de l’Enquête québécoise sur le parcours préscolaire des enfants de maternelle 2022, les enfants qui vivent dans un ménage à faible revenu sont plus susceptibles que les autres enfants d’être vulnérables sur le plan du développement lors de leur entrée à la maternelle. En effet, 43,8 % d’entre eux étaient vulnérables dans au moins un domaine de développement, comparativement à 17,5 % chez les enfants vivant dans un ménage à revenu élevé4 

Un niveau de stress qui demeure élevé, particulièrement chez les mères 

Malgré l’amélioration des conditions de travail, un niveau de stress élevé demeure chez les parents québécois. En 2023, 52 % des mères et 38 % des pères d’enfants de moins de 6 ans ont déclaré ressentir un stress émotionnel au travail3. Corinne Vachon-Croteau explique ce phénomène par une intensification des exigences à l’égard des parents, tant au travail qu’à la maison.
 
« Les attentes sociales envers les parents et la pression qu’ils se mettent se sont accrues, la charge mentale demeure élevée et le soutien concret pour faciliter la conciliation reste parfois limité. Le stress parental ne reflète pas seulement les conditions d’emploi, mais aussi la difficulté de répondre simultanément à des exigences professionnelles et familiales toujours plus pressantes. » - Corinne Vachon-Croteau  
Cette situation est préoccupante, car le stress lié aux responsabilités professionnelles peut nuire à la vie familiale. Selon la littérature scientifique, un stress chronique et intense peut entraîner un désengagement parental, altérer la perception de la relation avec l’enfant et nuire à la capacité du parent à gérer ses émotions ou à répondre adéquatement aux besoins de son enfant5. « Le stress peut fragiliser la qualité des interactions parent-enfant », fait valoir Sylvana Côté, Professeure titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et chercheuse au CHU Sainte-Justine.
 
Sylvana Côté souligne que ce sont surtout les mères qui expriment du stress professionnel de type émotif. Ce phénomène s’explique par un double fardeau. « D’une part, les mères assument une charge mentale élevée liée à la gestion familiale (santé, rendez-vous médicaux, suivi scolaire, organisation des activités) et, d’autre part, elles sont surreprésentées dans des secteurs d’emploi fortement exigeants émotionnellement, comme la santé et l’éducation », précise-t-elle. 

Réduire le stress parental, un effort partagé 

Corinne Vachon-Croteau souligne que les employeurs ont un rôle clé à jouer dans la réduction du stress parental. Ils peuvent, par exemple, considérer la conciliation famille-travail comme une priorité et offrir des mesures telles que des horaires flexibles, des congés adaptés ou des services de soutien afin de contribuer à diminuer la pression sur les parents et à renforcer la rétention du personnel.

Sur le plan des politiques publiques, la directrice générale du Réseau pour un Québec Famille insiste sur l’importance de l’accès à des services de garde de qualité. Elle rappelle également que le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) pourrait constituer un levier majeur pour mieux soutenir les parents, par exemple en améliorant la couverture, en augmentant la flexibilité ou en implantant de nouvelles mesures adaptées aux réalités actuelles.

Sylvana Côté ajoute que ces politiques doivent s’accompagner d’un véritable changement de valeurs et de mentalités. Pour alléger le double fardeau familial et professionnel qui pèse particulièrement sur les mères, elle estime essentiel que les employeurs et la société normalisent l’idée que les pères puissent s’absenter pour un enfant malade, un rendez-vous médical ou un suivi scolaire. Elle rappelle que dans les pays scandinaves, les congés parentaux réservés aux pères – plus longs qu’au Québec – sont fortement valorisés socialement et soutenus par les employeurs. « Cette approche a contribué à instaurer une culture de partage équitable des responsabilités familiales, réduisant ainsi la charge mentale des mères », conclut Sylvana Côté. 

 

Photo de Geoffroy Boucher

Par Geoffroy Boucher

Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Il agit aujourd’hui à titre d’économiste à l’Observatoire québécois des inégalités et comme président de Décimal, analyses et politiques publiques.


Notes 

1. Amélie Lavoie et Alexis Auger (2023). Être parent au Québec en 2022. Un portrait à partir de l’Enquête québécoise sur la parentalité 2022, [En ligne], Québec, Institut de la statistique du Québec, p. 132.  

2. Marisa Matias et al. « Work-family conflict, psychological availability, and child emotion regulation: Spillover and crossover in dual-earner families », Personal Relationships, vol. 24, no 3, 2017, p. 623-639. 

3. Luc Cloutier-Villeneuve (2025). Les conditions de travail des parents. Évolution de 2008 à 2023, [En ligne], Québec, Institut de la statistique du Québec, 84 p. 

4. Amélie Groleau et Alexis Auger (2023). Enquête québécoise sur le parcours préscolaire des enfants de maternelle 2022 - Rapport statistique - Tome 2 : Mieux comprendre la vulnérabilité des enfants de maternelle 5 ans : les facteurs associés, [En ligne], Québec, Institut de la statistique du Québec, p. 45. 

5. Victoria J. Molfese et al. (2010). « Infant temperament, maternal personality, and parenting stress as contributors to infant developmental outcomes », Merrill-Palmer Quarterly, vol. 56, no 1, p. 49-79. 

 

 

Pour aller plus loin 

 
Consulter l’étude Les conditions de travail des parents Évolution de 2008 à 2023 de l'Institut de la statistique du Québec. 
 

Consulter le Portrait Dans quels environnements grandissent les tout-petits au Québec ? de l’Observatoire des tout-petits