Agir sur le revenu des familles pour contrer l’insécurité alimentaire
Au Québec, près d’une famille sur cinq (19,8%) ayant au moins un tout-petit était en situation d’insécurité alimentaire en 2022 selon Statistique Canada. Alors que l’insécurité alimentaire pose d’importants risques pour le développement des enfants, un consensus semble se dessiner chez les experts quant à la nécessité d’accroître le revenu des familles pour contrer cette problématique. Discussion avec Andrée-Anne Fafard-St-Germain, de l’Université de Toronto.
L’insécurité alimentaire se définit par un accès inadéquat ou incertain aux aliments en raison d’un manque de ressources financières1. Les tout-petits qui se trouvent en situation d’insécurité alimentaire ont davantage de risques de présenter des retards de développement aux niveaux cognitif, moteur et neurophysiologique et sont plus susceptibles de développer des maladies chroniques à l’âge adulte2.
La chercheuse Andrée-Anne Fafard-St-Germain, qui a analysé les données probantes venant des États-Unis et du Canada, rapporte également, lors de l’entrevue, une association entre l’insécurité alimentaire et des problèmes d’agressivité, de déficit d’attention, d’hyperactivité, d’anxiété, et de dépression chez les enfants d’âge préscolaire.
Une situation préoccupante
Au Québec, la proportion des ménages ayant au moins un enfant de 0 à 5 ans se trouvant en situation d’insécurité alimentaire est passée de 16,1 % en 2019 à 19,8 % en 2022. Il s’agit d’une augmentation de 23 % en trois ans.
Ce phénomène peut s’expliquer en partie par la hausse marquée du prix des aliments. Selon Alima, le coût d’un panier alimentaire équilibré couvrant les besoins nutritionnels d’une personne vivant à Montréal a connu une augmentation de 28 % en moins de 3 ans. Sur une base annuelle, ce sont près de 2 600 $ supplémentaires qu’une famille avec deux jeunes enfants3 doit débourser pour se procurer les mêmes aliments4.
Le réseau des Banques alimentaires du Québec notait d’ailleurs dans son plus récent Bilan-Faim que plus d’un bénéficiaire de l’aide alimentaire sur trois (35 %) était un enfant, une tendance à la hausse depuis 20195.
Le soutien au revenu : une politique efficace pour réduire l’insécurité alimentaire
L'insécurité alimentaire n'est pas seulement un manque de nourriture. Elle correspond à des moyens financiers insuffisants pour satisfaire ses besoins essentiels. L’insécurité alimentaire peut être :
- marginale, soit la peur de manquer de nourriture ;
- modérée, soit une diminution de la qualité ou de la quantité d’aliments consommés ;
- grave, soit sauter des repas ou réduire considérablement les quantités.
Pour réduire l’insécurité alimentaire, il faut donc augmenter les revenus des familles, affirme Mme Fafard-St-Germain. Les répercussions des programmes provinciaux et fédéraux de suppléments au revenu pour les familles, comme l’Allocation canadienne pour enfants et l’Allocation famille du gouvernement du Québec, ont été rigoureusement étudiées. Il a été démontré que ces programmes permettaient de réduire efficacement l’insécurité alimentaire chez les familles avec des enfants6.
La chercheuse souligne que l’insécurité alimentaire est associée au revenu du ménage, mais également à d’autres facteurs comme la stabilité du revenu dans le temps, le coût de la vie et l’endettement. La complexité de ce phénomène pourrait expliquer pourquoi l’insécurité alimentaire est en hausse au Québec et au Canada, alors que d’autres indicateurs comme le taux de pauvreté selon la mesure du panier de consommation (MPC), sont en baisse.
Qu’est-il possible de faire ?
Pour agir efficacement, Andrée-Anne Fafard-St-Germain est d’avis qu’il faudrait se concentrer sur l’optimisation des programmes de suppléments au revenu qui sont déjà en place. Alors que d’autres initiatives, telle que la mise sur pied de programmes de subvention aux magasins d’alimentation, n’ont pas démontré leur efficacité7, la chercheuse croit qu’il serait plus judicieux d’améliorer les programmes existants.
Par exemple, il pourrait être possible :
- D’augmenter les montants des prestations pour les familles à faible revenu.
- D’ajuster les montants des prestations plus fréquemment pour tenir compte de l’évolution du coût de la vie, par exemple sur une base trimestrielle plutôt qu’annuelle.
- De permettre aux familles qui subissent une diminution de revenu en cours d’année de le déclarer afin que les prestations soient ajustées avant la fin de l’année fiscale si nécessaire.
Selon la chercheuse, de telles mesures pourraient s’avérer particulièrement efficaces pour réduire le niveau d’insécurité alimentaire chez les tout-petits. Compte tenu des risques que posent l’insécurité alimentaire pour le développement des enfants, ces pistes offrent des avenues de réflexion aux décideurs afin d’alimenter les réflexions autour des actions possibles en petite enfance.
Par Geoffroy Boucher
Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Depuis peu, il a rejoint l’Observatoire québécois des inégalités et agit également comme consultant en politiques publiques.
Pour aller plus loin
Consulter notre portrait Dans quels environnements grandissent les tout-petits québécois?
Consulter le rapport La faim justifie des moyens de l’Observatoire québécois des inégalités.
Consulter le rapport L’insécurité Alimentaire des Ménages au Canada 2022 de PROOF.
Consulter le Bilan-Faim 2024 des Banques alimentaires du Québec.
Notes de fin
- François Fournier (2022). La faim justifie des moyens. S’engager à réduire durablement et à prévenir l’insécurité alimentaire des ménages au Québec, Montréal, Observatoire québécois des inégalités.
- Janice Ke et Elizabeth Lee Ford-Jones (2015). « Food insecurity and hunger: A review of the effects on children’s health and behaviour », Paediatrics Child Health, vol. 20, no 2, p. 89-91.
- Une telle famille est composée d’une femme de 19 à 30 ans, d’un homme de 19 à 30 ans, d’un garçon de 4 à 8 ans et d’une fille de 1 à 3 ans.
- Alima, Centre de nutrition sociale périnatale (2024). Rapport 2023-2024 sur le coût du Panier à provisions nutritif et économique, Montréal.
- Les Banques alimentaires du Québec (2024). Bilan Faim 2023.
- Leanne Idzerda et al. (2024). « Public policy interventions to mitigate household food insecurity in Canada: a systematic review », Public Health Nutrition, vol. 7, no 1.
- Ibid.
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