Observatoire des tout-petits

Chroniques
30 septembre 2024

Nouveau plan de lutte contre la pauvreté : quelles répercussions pour les tout-petits?

	Nouveau plan de lutte contre la pauvreté : quelles répercussions pour les tout-petits?  
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Photo de Geoffroy Boucher
Geoffroy Boucher
Économiste à l'Observatoire québécois des inégalités et consultant en politiques publiques

Le gouvernement du Québec a rendu public le 21 juin dernier son quatrième Plan d’action gouvernemental visant la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Comment ce nouveau plan affectera-t-il les tout-petits vivant au Québec ? On en discute avec la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke, le Collectif pour un Québec sans pauvreté et le Collectif petite enfance. 

À l’échelle du Québec, 47 660 tout-petits, soit près d’un tout-petit sur dix (9,4 %), vivaient dans une famille à faible revenu en 20211. Cette proportion monte à 27,4 % chez les enfants de 0 à 5 ans vivant dans une famille monoparentale.  

Cette situation est préoccupante, d’autant plus que l’Enquête québécoise sur le parcours préscolaire des enfants de maternelle (EQPPEM 2022) établit un lien entre le revenu du ménage et le développement des enfants. Selon l’EQPPEM 2022, les enfants qui vivent dans un ménage à faible revenu sont plus susceptibles d’être considérés comme étant vulnérables dans au moins un domaine de développement2. En 2022, la proportion d’enfants de maternelle vulnérables dans au moins un domaine de développement était de 43,8 % chez les enfants vivant dans un ménage à faible revenu, contre 17,5 % chez les enfants vivant dans un ménage à revenu élevé. Cette proportion est d’ailleurs en hausse de 2,4 points de pourcentage chez les ménages à faible revenu (41,4% en 2017), alors qu’elle est demeurée stable au sein des ménages à revenu élevé (17,5% en 2017). 

Un plan d’action pour lutter contre la pauvreté 

Le plan d’action gouvernemental découle de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec le 13 décembre 2002. Cette loi oblige le gouvernement à déposer un plan d’action afin de préciser les mesures qui seront mises en place par différents ministères et organismes pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.  

Cette quatrième édition du plan d’action – qui couvre la période 2024 à 2029 – prévoit un investissement de 750,1 millions de dollars sur cinq ans pour la mise en œuvre de 71 nouvelles mesures. Ces dernières seront portées par 21 ministères et organismes gouvernementaux. À titre comparatif, le plan précédent – qui couvrait la période 2017 à 2023 – prévoyait des investissements de 2,2 milliards de dollars sur cinq ans3, un montant trois fois plus élevé. Le plan 2024-2029 prévoit toutefois davantage de moyens pour lutter contre l’insécurité alimentaire et accroître l’accès à des aliments de qualité. 

Peu d’attention portée aux tout-petits 

Questionné sur les mesures proposées dans le plan d’action gouvernemental et leur capacité à lutter contre la pauvreté chez les enfants de 0 à 5 ans au Québec4, Luc Godbout, titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l'Université de Sherbrooke, souligne d’emblée qu’il est très peu question des enfants à l’intérieur du quatrième plan d’action gouvernemental. La CFFP indique toutefois que toute action qui agit sur le revenu et le bien-être des familles se traduira forcément en gains pour les enfants.  

Ainsi, M. Godbout accueille avec intérêt l’introduction d’un supplément aux revenus de travail pour les prestataires de l’aide sociale et de la solidarité sociale (voir encadré), de même que la volonté de verser les prestations d’assistance sociale sur une base individuelle plutôt que par ménage dans certaines situations. « L’accent mis sur le Programme objectif emploi est aussi intéressant », affirme Luc Godbout. « Les mesures visant à aider les contribuables à remplir leurs déclarations fiscales sont également importantes puisqu’elles permettent d’assurer qu’un plus grand nombre de familles reçoivent les prestations auxquelles elles ont droit », conclut-il. 

Le Collectif pour un Québec sans pauvreté note également qu’aucune mesure du plan d’action ne vise directement les tout-petits et leur famille. Il souligne également que le plan d’action ne prévoit aucune augmentation des prestations d’assistance-sociale, du salaire minimum et des crédits sociaux fiscaux (comme l’Allocation famille ou le crédit d'impôt pour solidarité).  

« Pour réduire la pauvreté chez les enfants, il faut augmenter le revenu des parents, renforcer l’accès aux services publics et réduire les inégalités. Sans quoi, on condamne les familles à une pauvreté persistante et durable », souligne Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté. 

Le Collectif petite enfance, qui avait appelé le gouvernement à faire des tout-petits et leur famille la priorité de ce quatrième plan d’action gouvernemental5, souligne qu’il est encore possible de corriger le tir. « Agir tôt sur les conditions de vie des tout-petits est la chose à faire si l’on souhaite contrer les effets néfastes de la pauvreté avant que ceux-ci n’influencent leur parcours de vie », rappelle Elise Bonneville, directrice du Collectif petite enfance. 

La petite enfance offre une fenêtre d’opportunité unique pour prévenir des problèmes pouvant survenir plus tard dans la vie, comme le décrochage scolaire et les enjeux de santé. Investir massivement en petite enfance, là où les rendements sur investissement sont particulièrement élevés, constitue ainsi une stratégie gagnante. 

Le supplément aux revenus de travail, qu’est-ce que c’est ? 
 
Le nouveau plan d’action gouvernemental prévoit l’introduction d’un supplément aux revenus de travail pour les prestataires de l’aide sociale et de la solidarité sociale. Cette mesure permet aux prestataires de ces programmes de conserver une part plus élevée de leurs revenus gagnés, soit 10% de plus, sans que leurs prestations soient réduites. Par exemple, une personne qui gagne 250 $ par mois pourra conserver 10 % des 50 $ qui excèdent la limite permise de 200 $, soit 5 $ de plus par mois.
 

 

Photo de Geoffroy Boucher

Par Geoffroy Boucher

Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Depuis peu, il a rejoint l’Observatoire québécois des inégalités et agit également comme consultant en politiques publiques.

Notes de fin 

1. Statistique Canada, Fichier des familles T1, adapté de Statistique Canada par l'Institut de la statistique du Québec.
2.
Institut de la statistique du Québec (2023). Parcours préscolaire : quels sont les facteurs associés à la vulnérabilité des enfants de maternelle 5 ans? 
3. Le plan précédent, soit le Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale 2017-2023, couvrait une période de six ans. Sur six ans, les investissements prévus étaient de 3 milliards de dollars.  
4. La CFFP a accepté de commenter certains aspects du plan d’action gouvernemental, notamment ceux en lien avec le soutien au revenu et les aspects fiscaux.
5. Collectif petite enfance (2023), Agir en prévention pour déjouer la pauvreté – Mémoire présenté dans le cadre de la consultation publique pour le plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Montréal, Québec. 

 

Pour aller plus loin 

Consulter le Plan d’action gouvernemental pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale 

Lire la lettre ouverte du directeur général des Banques alimentaires du Québec

Lire la lettre ouverte du Collectif petite enfance

Consulter le Portrait des politiques publiques