Développer la littératie des tout-petits, un investissement rentable pour la société
Selon la Fondation pour l'alphabétisation, plus de la moitié de la population québécoise n’est pas en mesure de comprendre des textes longs et complexes, un phénomène qui comporte son lot de conséquences. Pour faire face à ce défi, une stratégie gagnante consiste à soutenir le développement de la littératie dès la petite enfance. On en discute avec l’économiste Pierre Langlois et la professeure Julie Myre Bisaillon.
La littératie est la capacité à comprendre et à communiquer de l’information par le langage sur différents supports afin d’être en mesure de participer activement à la société.1 Selon les plus récents résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes, une initiative de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), plus de la moitié (51,6 %) de la population québécoise âgée entre 16 et 65 ans n’atteignait pas le niveau 3 en littératie en 2021, soit le seuil jugé nécessaire pour comprendre des textes longs et complexes2.
Déjouer la spirale de la précarité
Ce phénomène a d’importantes conséquences économiques. Selon l’économiste Pierre Langlois, les défis de littératie alimentent d’autres problèmes, tels que les enjeux de pauvreté, et créent une spirale de précarité sociale et économique.
Agir tôt, une bonne stratégie pour contrer le décrochage scolaire
Selon un rapport de la Fondation pour l’alphabétisation, 424 000 personnes se trouvaient dans une spirale de précarité au Québec en 2022, soit 6,13 % de la population.
Pour prévenir ces problèmes, il importe d’agir tôt. Selon la Société canadienne de pédiatrie, l’exposition des tout-petits aux livres dès un très jeune âge favoriserait l’éveil à la lecture et se traduirait par de meilleures habiletés en lecture et en écriture plus tard à l'école5. Il s’agirait ainsi d’une bonne stratégie pour contrer le décrochage scolaire, dont le coût global au Québec a été évalué à près de 14 milliards $ par année par le professeur en économie Frédéric Laurin6.
Le rôle des bibliothèques publiques pour favoriser la littératie des tout-petits
Les bibliothèques publiques peuvent jouer un rôle important pour favoriser l’éveil à la lecture et à l’écriture des tout-petits. Julie Myre Bisaillon, professeure à la Faculté d'éducation de l'Université de Sherbrooke, indique que les livres disponibles dans les bibliothèques permettent de soutenir le développement du vocabulaire chez l’enfant et favorisent les interactions de qualité entre les tout-petits et les adultes.
Les enfants d’âge préscolaire qui ne fréquentent pas une bibliothèque publique sont d’ailleurs plus nombreux à être vulnérables dans au moins un domaine de leur développement à la maternelle. Selon l’Enquête québécoise sur le parcours préscolaire des enfants de maternelle 2022, 34,1 % des enfants qui ne fréquentent jamais la bibliothèque avec leurs parents sont vulnérables dans au moins un domaine de développement, contre 21,5 % chez les enfants qui fréquentent souvent la bibliothèque. Chez les enfants qui n’ont pas accès à une bibliothèque, la proportion d’enfants vulnérables est encore plus élevée, soit 36,9 %.
Selon Julie Myre Bisaillon, il est important d’investir pour démocratiser l’accès aux bibliothèques. « Il faut tout mettre en œuvre pour y favoriser la présence des enfants, même ceux en bas âge », soutient la professeure qui rêve de voir des bibliothèques de qualité dans chaque quartier afin de réduire les contraintes d’accès que vivent certaines familles en situation de vulnérabilité.
Pierre Langlois abonde dans le même sens. Selon l’économiste, une approche qui agit à la source et qui mise sur la collaboration d’une multitude d’acteurs peut contribuer à sortir des familles de la spirale de la précarité.
Par Geoffroy Boucher
Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Depuis peu, il a rejoint l’Observatoire québécois des inégalités et agit également comme consultant en politiques publiques.
Pour aller plus loin
Lire l’étude Aperçu d’un indice de grande vulnérabilité dans plusieurs villes du Québec de la Fondation pour l’alphabétisation
Lire l’article L'impact des bibliothèques publiques sur le développement des tout-petits
Lire l’article L'importance de l'éveil à la lecture pour les tout-petits : entretiens avec Julie Myre Bisaillon et Rachel DeRoy-Ringuette
Lire la lettre ouverte d’Eve Lagacé, directrice générale de l’Association des bibliothèques publiques du Québec, publiée le 22 février 2023 Les bibliothèques publiques, protectrices de la liberté d’expression
Notes de fin
- Réseau québécois de recherche et de transfert en littératie
- Ministère de l’Éducation du Québec, Compétences de niveau 3
- Fondation Lire pour réussir, Les impacts d’une faible compétence en littératie
- Coalition ontarienne de formation des adultes, Qu’est-ce que les niveaux de littératie?
- Société canadienne pédiatrie, L’alphabétisation précoce
- Daphnée Dion-Viens (2024). Le décrochage scolaire coûte 14 milliards $ par année au Québec, Le Journal de Québec, 17 janvier 2024
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