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8 juin 2023

La conciliation emploi-famille continue d’être un enjeu plus important pour les mères de tout-petits

	La conciliation emploi-famille continue d’être un enjeu plus important pour les mères de tout-petits
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Par Sophie Mathieu, Ph.D. et Diane-Gabrielle Tremblay, Ph.D.

La politique familiale du Québec est fortement orientée autour des soins envers les tout-petits, par l’entremise d’une offre de services de garde à faible coût et d’un programme de prestations parentales accessible et généreux. Le Québec est aussi la province où les mères de jeunes enfants sont proportionnellement les plus actives sur le marché du travail, et où les pères se prévalent le plus souvent des prestations de paternité lors de l’arrivée d’un nouvel enfant.

Devant ces constats qui pointent vers une certaine symétrie des rôles de chacun des parents, peut-on conclure que la conciliation emploi-famille soit un enjeu qui affecte les mères et les pères de manière similaire?

Pas nécessairement.

C’est ce que révèlent les données compilées par l’initiative Concilivi du Réseau pour un Québec Famille, qui a mandaté Léger pour réaliser une enquête auprès de 3108 travailleurs québécois au printemps 2022. Les répondants étaient parents d’au moins un enfant de moins de 18 ans ou proches aidants (1).

Nous analysons ici les données des répondants parents d’enfants âgés de 5 ans et moins, pour comparer l’expérience de conciliation emploi-famille des mères et des pères québécois. Le terme emploi-famille est ici utilisé car il renvoie à l’emploi occupé, et non au travail qui peut également englober les tâches ménagères et le travail de soins.

Cette analyse permet de faire trois constats.

1er constat : les parents des tout-petits à la recherche de mesures de conciliation

L’enquête de Concilivi sondait les répondants pour connaître les critères les plus importants dans la recherche d’un nouvel emploi. Bien avant la réputation de l’entreprise, le caractère innovant et les possibilités de progression dans la structure hiérarchique, ce sont le salaire et la disponibilité de mesures de conciliation emploi-famille qui se démarquent comme étant les deux critères les plus désirés. En d’autres termes, les parents de tout petits veulent de l’argent et du temps, plutôt que du prestige et des possibilités d’avancement.

Il faut néanmoins nuancer cette observation en regardant les différences statistiquement significatives entre les réponses fournies par les mères et les pères.

Lors de la recherche d’un nouvel emploi :

Chez les hommes, le salaire et les avantages sociaux (56%) sont le critère en tête de liste. Même si une proportion élevée d’entre eux (89%) identifient les mesures de conciliation comme étant parmi les trois critères les plus importants lors de la recherche d’un nouvel emploi, les hommes sont moins nombreux que les femmes (97%) à identifier ce critère comme étant attractif.  

2e constat : la conciliation emploi-famille comme une source de stress plus fréquente chez les mères de tout-petits

Une majorité de parents d’enfants d’âge préscolaire (64%) se disent stressés en raison d’enjeux liés à leur conciliation travail-famille. Cette proportion est plus élevée que chez l’ensemble des travailleurs qui sont parents d’un enfant de 18 ans et moins ou proche-aidants (56%).

Plusieurs études récentes ont montré l’effet du genre sur l’expérience de conciliation au Québec (2,3). Les données de l’enquête de juin 2022 montrent que le genre du parent et l’âge des enfants sont des facteurs déterminants dans l’expérience de conciliation.  

3e constat : les effets de la pénurie de personnel davantage ressentis par les mères… et leur famille

On a également voulu savoir si la pénurie de personnel rendait plus difficile l'accès des employés à des mesures de conciliation emploi-famille. Au total, 53% des parents de tout-petits ont affirmé ressentir les effets négatifs du manque de main-d’œuvre sur leur conciliation. Toutefois, près d’une mère sur trois (29%) a affirmé que le manque de main-d’œuvre avait un effet « très important » sur l'accès à des mesures de conciliation. Chez les pères, cette proportion n’est que de 17%.

Pour un peu plus d’une mère sur deux (51%), ces difficultés à avoir accès à des mesures de conciliation se traduisent par des situations où elles n’arrivent pas à obtenir un congé pour raisons familiales ou à modifier leur horaire. Une proportion encore plus élevée (53%) dit ressentir de la pression de la part de son employeur pour ne pas s’absenter.

Du côté des pères, seuls 28 % d’entre eux affirment que la pénurie de personnel leur donne moins de possibilités de modifier leur horaire. Plus d’un père sur trois (34%) affirme qu’il a moins de possibilités de prendre un congé pour raisons familiales, ou ressent davantage de pression de l’employeur pour ne pas s’absenter (35%).

Source : Réseau pour un Québec Famille. 2022. Sondage auprès des travailleurs du Québec, édition 2022.

Des pistes de réflexion pour les employeurs en quête de main-d’œuvre

Même si le Québec est une figure de proue en Amérique du Nord en raison de sa politique familiale, des inégalités de genre persistent dans l’expérience de conciliation emploi-famille. En dépit de ces différences, un constat demeure : une forte majorité de parents de tout-petits (63%) affirment qu’ils seraient prêts à changer d’emploi si on leur offrait de meilleures mesures de conciliation. Alors que le Québec fait face à une pénurie de main-d’œuvre, une offre de mesures de conciliation généreuse avec des horaires flexibles et des congés familiaux payés peuvent s’avérer des facteurs favorisant le recrutement et la rétention des travailleurs parents de tout-petits.

 

Ce texte a été écrit par Sophie Mathieu, Ph.D., spécialiste principale des programmes à l'Institut Vanier de la famille et Diane-Gabrielle Tremblay, Ph.D., professeure, Université TÉLUQ, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socio-organisationnels de l’économie du savoir et directrice de l’ARUC (Alliance de recherche université-communauté) sur la gestion des âges et des temps sociaux. 

 

Pour aller plus loin

Lire le texte Les employeurs : des partenaires essentiels de la conciliation emploi-famille

Consulter notre page web dédiée au milieu des affaires

Mathieu, S. & Tremblay, D-G. (2022). Parentalité, conciliation emploi-famille et composition genrée de la main-d’œuvre dans les organisations en temps de pandémie : le cas du Québec, Relations industrielles, 77 (2)

Mathieu, S. & Tremblay, D.-G. (2021). L’effet paradoxal de la pandémie sur l’articulation emploi-famille : le cas du Québec, Revue Interventions économiques, 66.

 

Notes et références

(1) Réseau pour un Québec Famille (2022) Sondage auprès des travailleurs du Québec
Les données de l’enquête ont été pondérées selon le sexe, l’âge, le revenu familial, la région et la scolarité, de manière à les rendre représentatives de la population des travailleurs qui sont parents ou proches-aidants.

(2) Mathieu, S., Tremblay, D.-G., Treleaven, C. & Fuller, S. (2023). Determinants of Work-family Reconciliation During the First Wave of the Pandemic: Insights from Québec, Canadian Review of Sociology.

(3) Mathieu, S. & Tremblay, D-G. (2022b). La conciliation emploi-famille chez les mères et les pères québécois en temps de pandémie: constats et recommandations pour le Québec, Enfances, Familles Générations.