Hausse du coût de la vie : les familles du Québec sous pression

Geoffroy Boucher

Économiste à l'Observatoire québécois des inégalités et consultant en politiques publiques

Le Québec a enregistré en 2022 sa plus importante hausse de prix en 30 ans. Devant les factures d’épicerie et les loyers qui ne cessent d’augmenter, plusieurs familles naviguent sous pression. Une situation qui préoccupe des organismes proches des familles, comme la Fondation Olo et la Fédération québécoise des organismes communautaires Famille.

En 2022, l’indice des prix à la consommation – qui mesure la variation des prix des biens et services consommés par les ménages – a affiché sa plus forte augmentation depuis 1991, enregistrant une croissance de 6,7% par rapport à 2021¹.

En 2 ans, c’est une augmentation de prix de plus de 10 % qu’ont subie les familles du Québec. Les plus fortes hausses de prix ont été enregistrées au niveau des transports (+19,9%), des aliments (+11,7%) et du logement (+9,6%). La forte inflation s’est poursuivie en 2023, avec un taux de variation sur 12 mois oscillant entre 3,6% et 6,2%.

Figure 1. Variation annuelle de l’IPC, certaines catégories de produits, Québec, 2022

Source : Statistique Canada et Institut de la statistique du Québec, Indice des prix à la consommation, produits et groupes de produits.

Une source de stress pour les familles

D'ailleurs, selon l’Enquête québécoise sur la parentalité, la proportion de parents qui vivent du stress parental est plus élevée (32,7%) chez les parents qui perçoivent leurs revenus comme insuffisants pour répondre aux besoins de base de leur famille (logement, alimentation et habillement) que chez les parents qui perçoivent leurs revenus comme suffisants (20,2%)². De plus, près de trois Canadiens sur quatre ont déclaré que la hausse des prix actuelle avait une incidence sur leur capacité à assumer leurs dépenses quotidiennes³.

Selon la Fédération québécoise des organismes communautaires Famille⁴ (FQOCF), cette situation est propice à l’émergence de tensions et de situations de crise au sein de nombreuses familles.

« L’inflation a de fortes répercussions sur les ménages déjà en situation de vulnérabilité. Les enjeux financiers qui en découlent peuvent être générateurs de stress. On observe d’ailleurs une hausse de la fréquentation et du nombre de demandes de soutien auprès des organismes communautaires Famille. » − Alex Gauthier, directeur général de la FQOCF

De plus en plus difficile de s’alimenter sainement

Selon les données de l’Enquête sur les marchandises vendues au détail de Statistique Canada, les ventes des magasins d’alimentation, mesurées en volume, ont diminué de 3,6% en 2022. Les acheteurs dépensent ainsi davantage en alimentation en raison des prix plus élevés, mais consomment une moins grande quantité de nourriture⁵. Les familles délaissent également peu à peu les magasins d’alimentation pour se tourner vers les magasins de marchandises diverses et les supercentres.

Figure 2. Volume des ventes dans les magasins d'alimentation (indice de Laspeyres), Canada

Note : L’indice des prix de Laspeyres est une formule utilisée dans les statistiques de prix pour mesurer l’évolution des prix d’un panier de biens et de services consommés au cours d’une période de référence. Ainsi, lorsque la valeur de l’indice augmente, cela signifie que le volume des ventes dans les magasins d’alimentation augmente. À l’inverse, une diminution de l’indice signifie une baisse des volumes de ventes.

Source : Statistique Canada. Tableau 20-10-0067-01 Ventes mensuelles au détail, prix et volume, désaisonnalisées.

Selon le Centre de nutrition sociale périnatale Alima, entre octobre 2021 et juillet 2023, le coût d’un panier à provisions équilibré couvrant les besoins nutritionnels d’une famille composée d’un couple et de deux enfants a augmenté de 25% à Montréal. Cette augmentation équivaut à un coût supplémentaire de 2 850 $ par année pour les mêmes produits alimentaires⁶. L’augmentation est semblable pour une famille où la mère serait enceinte.

La Fondation Olo, qui offre un suivi personnalisé aux femmes enceintes en situation de vulnérabilité par la remise de multivitamines prénatales et de coupons échangeables contre des aliments sains, s’inquiète que la situation économique actuelle fragilise fortement la capacité à se nourrir des familles. Elle constate d’ailleurs une hausse substantielle de la demande pour ses services : le nombre de femmes enceintes ayant débuté un suivi Olo a augmenté de 35% entre la période 2021-2022 et la période 2022-2023. Cette croissance serait encore plus élevée si la capacité du réseau à débuter de nouveaux suivis n’était pas limitée.

« Le coût de la vie étant en augmentation, le budget nourriture rétrécit pour pallier des dépenses incompressibles comme le logement. Une plus grande proportion de famille se retrouve alors à avoir de la difficulté à bien s’alimenter et souhaitent bénéficier des coupons du suivi Olo. » − Élise Boyer, directrice générale de la Fondation Olo

Selon Mme Boyer, une alimentation inadéquate peut avoir une multitude de conséquences sur le développement des enfants, leur santé et leur réussite future. Elle rappelle du même coup que près de la moitié (45%) des demandeurs de dépannage alimentaire au Québec sont des familles avec enfants⁷.

Faire face à la hausse des prix

Dans sa mise à jour économique du 7 novembre dernier, le Gouvernement du Québec a annoncé une aide ponctuelle de 2 millions de dollars à la Fondation Olo afin de répondre aux besoins croissants. Mme Boyer se réjouit de cette nouvelle, mais souligne l’importance d’un soutien s’inscrivant dans le long terme afin de lutter efficacement contre les inégalités alimentaires.

Alex Gauthier rappelle pour sa part l’importance de soutenir le milieu communautaire. « Les organismes communautaires Famille viennent en aide sur une base quotidienne aux familles aux prises avec des enjeux découlant de la hausse du coût de la vie et du logement. Il faut les appuyer davantage, » ajoute-t-il.

Par Geoffroy Boucher

Titulaire d’une maîtrise en économie publique et politiques sociales de la London School of Economics, Geoffroy Boucher a œuvré au sein de plusieurs ministères aux niveaux provincial et fédéral. À titre d’économiste principal au ministère des Finances du Canada, il a notamment contribué au développement du plan pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Depuis peu, il a rejoint l’Observatoire québécois des inégalités et agit également comme consultant en politiques publiques.

Pour aller plus loin

Lire l’article L’insécurité alimentaire, un enjeu complexe 

Lire la chronique Des besoins de base insatisfaits pour des milliers de tout-petits au Québec

Notes de fin

(1) Statistique Canada et Institut de la statistique du Québec, Indice des prix à la consommation, indice d'ensemble, moyennes annuelles.
(2) Institut de la statistique du Québec (2023), Être parent au Québec en 2022 : Un portrait à partir de l’Enquête québécoise sur la parentalité 2022.
(3) Statistique Canada (2022), Enquête Portrait de la société canadienne.
(4) La FQOCF regroupe plus de 260 organismes de première ligne offrant des services et de ressources aux parents dans l’ensemble des régions du Québec.
(5) Sean Clarke, Rebecca Lehto et Simon Sheldrick (2023), Rapports économiques et sociaux – Essayer différents magasins pour composer avec le taux d’inflation élevé : les ventes d’aliments des magasins d’alimentation et magasins de marchandises diverses, Statistique Canada.
(6) Alima – Centre de nutrition sociale périnatale (2023), Rapport 2022-2023 sur le coût du Panier à provisions nutritif et économique.
(7) Les banques alimentaires du Québec (2023), Bilan Faim 2023.