Observatoire des tout-petits

Chroniques
28 octobre 2024

Restreindre la publicité alimentaire destinée aux enfants pour les protéger

	Restreindre la publicité alimentaire destinée aux enfants pour les protéger 
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Photo de Mélissa Khadra
Mélissa Khadra
Rédactrice scientifique

L’industrie alimentaire utilise diverses tactiques de marketing pour faire la promotion d’aliments ultratransformés auprès des tout-petits. Ces stratégies façonnent leurs habitudes alimentaires, qui peuvent perdurer tout au long de leur vie, et contribuent au développement de maladies chroniques. La mise en place de politiques publiques qui permettent de protéger les tout-petits s’avère importante.     

« Au Canada, c'est plus de la moitié de l'apport énergétique des enfants qui provient des aliments ultratransformés, explique Marie-Jeanne Rossier-Bisaillon, nutritionniste et chargée de projets pour le Collectif Vital. Ce sont des aliments qui sont riches en sucre et/ou en gras saturés et souvent pauvres en vitamines, en fibres et en minéraux. » 

Le Collectif Vital est une initiative de l'Association pour la santé publique du Québec. Sa mission est de faire en sorte que nos milieux de vie deviennent davantage favorables à l'adoption de saines habitudes de vie, principalement en ce qui a trait à l’alimentation et à l’activité physique. Dans sa mire, le marketing alimentaire qui cible les enfants occupe une grande place, puisque qu’il influence leurs habitudes alimentaires, souvent à l’insu de leurs parents. 

Les côtés sombres du marketing alimentaire 

Les tout-petits n’ont pas les capacités nécessaires pour distinguer la publicité du divertissement. Ils ne peuvent donc pas comprendre qu’il existe des intérêts commerciaux derrière les publicités. 

« La publicité influence les comportements, les choix et les préférences alimentaires des enfants, habitudes qui ont tendance à perdurer à l’âge adulte, note Marie-Jeanne Rossier-Bisaillon. Il s’agit donc d’un choix stratégique de la part de l’industrie alimentaire de cibler les enfants, puisque ça lui permet de fidéliser sa clientèle dès les premières années de vie. » 

Malheureusement, cette influence de la publicité alimentaire a de lourdes conséquences. En effet, la consommation régulière d’aliments ultratransformés est associée à un risque plus élevé de développer des maladies chroniques comme le diabète de type II et l’hypertension artérielle, affirme Marie-Jeanne Rossier-Bisaillon. Et ce, tant chez les adultes que chez les enfants. 

« Historiquement, ce sont des maladies que l’on voyait uniquement chez les adultes, explique la nutritionniste. Mais elles sont désormais de plus en plus diagnostiquées chez les enfants. » 

S’associer au sport pour redorer son image 

L’une des manières de contrer le développement de maladies chroniques est d’adopter un mode de vie physiquement actif. Or, le sport est un secteur auquel l’industrie alimentaire s’associe régulièrement pour faire la promotion d’aliments à faible valeur nutritive.  

Selon Elise Pauzé, doctorante à l’Université d’Ottawa qui s’intéresse aux pratiques commerciales de l’industrie alimentaire, les compagnies alimentaires ont tout intérêt à s’associer au sport. D’une part, ce mariage leur permet d’associer leur marque et leurs produits à une activité saine, ce qui contribue à redorer leur image. Et de l’autre, il leur permet d’exposer les enfants à leur marque de façon répétée, sur une période prolongée. 

Elise Pauzé travaille plus particulièrement sur l’enjeu de la commandite sportive d’équipes d’enfants. Ce type de pratique peut prendre plusieurs formes. Par exemple, les clubs sportifs pour enfants peuvent faire appel à des programmes menés par des chaînes de restauration rapide qui offrent des uniformes et de l’équipement. Certaines compagnies alimentaires peuvent également commanditer des tournois sportifs. 

« Notre équipe de recherche a effectué une étude sur les commandites utilisées par 67 clubs sportifs pour enfants de la région d’Ottawa, explique la doctorante. Nos résultats tendent à démontrer que 40 % de ces clubs avaient une commandite de nature alimentaire, et 25 % des clubs sportifs étaient commandités par des établissements de restauration rapide. » 

Une loi provinciale imparfaite 

Au Québec, la commandite sportive est permise, explique Elise Pauzé. Cependant, selon le guide d’application des articles de la Loi de la protection du consommateur qui concerne la publicité destinée aux enfants, elle doit être discrète.  

« Techniquement, les commanditaires n’ont pas le droit d’utiliser de logo ni de mascotte, précise-t-elle. Mais la loi manque de clarté, il est difficile de déterminer ce qui est vraiment permis ou non. » 

En vigueur depuis 1980, la Loi de la protection du consommateur interdit toute forme de publicité commerciale destinée aux enfants de moins de 13 ans au Québec. Le hic, explique Marie-Jeanne Rossier-Bisaillon, c’est que certaines exceptions à la loi font en sorte que les enfants sont tout de même ciblés par des publicités alimentaires.  

« La publicité est notamment permise sur les emballages, sur les étalages et dans les vitrines, précise-t-elle. C’est pour cette raison que les supermarchés regorgent de marketing destiné aux enfants, par exemple les boîtes de céréales très colorées et très sucrées qui sont placées à la hauteur de leurs yeux. » 

Le gouvernement fédéral a la responsabilité de protéger les enfants 

Du côté fédéral, le gouvernement du Canada s’est engagé en 2015 à encadrer la publicité qui cible les enfants. Plus précisément, le projet de règlement sur la publicité alimentaire destinée aux enfants propose de restreindre la publicité qui vise à promouvoir les aliments riches en sucres, en sel et en gras saturés auprès des enfants de moins de 13 ans. Or, sa publication tarde à voir le jour.  

« Nous nous attendons à ce que le gouvernement fédéral respecte ses engagements, note Marie-Jeanne Rossier-Bisaillon. Nous avons besoin d’une loi canadienne qui vient compléter celle que nous avons déjà au Québec, mais surtout d’une loi qui protège les enfants. » 

Lana Vanderlee, professeure adjointe à l’école de nutrition de l’Université Laval dont les travaux de recherche visent à comprendre comment les politiques publiques influencent nos habitudes alimentaires, critique elle aussi l’absence de progrès du côté des politiques fédérales.  

« Il faut agir, pas seulement en parler », souligne-t-elle. 

Selon la chercheure, le gouvernement fédéral aurait par exemple intérêt à s’inspirer de politiques publiques prometteuses qui sont instaurées à l’international 

« Au Canada, il y a encore beaucoup de travail à faire pour créer des environnements alimentaires sains, explique Lana Vanderlee. On pourrait par exemple s’inspirer du Royaume-Uni, où le marketing de la malbouffe sera bientôt interdit presque partout où les enfants peuvent y être exposés, notamment à la télévision et dans les médias numériques. » 

Pour la chercheure, il est clair que les autorités fédérales ont la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour protéger les enfants des effets insidieux de la publicité alimentaire qui leur est destinée. Mais au-delà des lois, elle est d’avis qu’il faut également sensibiliser la population à la portée que peuvent avoir ces stratégies. 

« Le marketing de la malbouffe est partout et il a pour conséquence de normaliser la consommation d’aliments ultratransformés, explique Lana Vanderlee. Pour que les citoyens puissent devenir des acteurs de changement, ils doivent être bien informés. »  

C’est quoi, une publicité qui cible les enfants ?

Selon l’Office de la protection du consommateur, une publicité destinée aux enfants doit tout d’abord promouvoir un produit qui est susceptible d’intéresser les enfants. Une assurance automobile a peu de chance de répondre à ce critère, en comparaison à des céréales colorées et sucrées. Ensuite, il faut que la publicité soit conçue de manière à attirer l’attention d’un enfant. On peut par exemple utiliser des mascottes, des animations, des couleurs, un langage enfantin et même le tutoiement. Enfin, la publicité doit être effectuée dans un endroit qui est fréquenté par les enfants, comme dans un parc d’attraction, contrairement à  une banque, par exemple.  
Photo de Mélissa Khadra

Par Mélissa Khadra

Titulaire d’un doctorat en sciences biologiques, Mélissa Khadra œuvre dans le milieu du journalisme et de la vulgarisation scientifique depuis près de 3 ans. Avant de rejoindre l’équipe de l’Observatoire des tout-petits à titre de rédactrice scientifique, elle a collaboré avec plusieurs médias, dont La Presse, Québec Science et La Conversation Canada. Armée de son bagage de connaissances en sciences et de son amour des mots, elle s’amuse à décortiquer les sujets les plus complexes.


Pour aller plus loin 

Découvrir le Collectif Vital et ses ressources : 

Consulter le guide d’application de la Loi de la protection du consommateur en ce qui concerne la publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans (articles 248 et 249)  

Prendre connaissance de l'étude d’Elise Pauzé sur les commandites sportives d’équipes d’enfants dans la région d’Ottawa